Quelle caverne ? si dehors c’est pareil que dedans la caverne ? Des symétries luttent et nous laissent en suspens où Maël Guesdon en coupe le cours. Le monde glisse d’un monde aux autres, dans la lumière voire l’obscurité. Il ne s’agit pas de paradoxe mais de légères collusions entre des configurations, des genres.
Regardons Voire.
Toutes choses creuses, méconnaissables, par cercles ouverts, sous l’action du vent
Diffèrent toutes……
Il y a du vent, cela rassure, mais il imprécise les contours. Caresse ou mord des surfaces. Y a-t-il encore des bords ? Par où le monde se défait-il ? ou par où la certitude d’un monde se défait elle ? et quel monde ? celui des idées ? celui du vivant ?
Voire oscille, sans aucun pathos, dans cette défaite en 5 courtes parties. Il semble qu’on nous donne cette structure pour nous guider dans la précaution inquiète qui inscrit, comme le ferait une improvisation musicale, l’avancée trouée, parmi les choses tombées ou revenantes qui obstruent le cours du temps, ou le font sursauter. Les choses tremblent de n’être. Chutent moins vite que l’être semble-t-il. À moins qu’elles ne surnagent, coquilles, autour d’un noyé pensif.
Un ou une Il, un ou une Elle risquent des actes, s’écartant de leur genre imposé, ou s’y résolvant, il n’y a pas de je ; le pas de porte est désert (vu de la meurtrière). D’ailleurs, il met se (qui pourrait le confondre à un je délégué)ailleurs, derrière le muret, qu’il contourne, comme on écrit, parmi les empêchements. Il et je absents, laissent le réfléchi aux miroirs avec d’autres reflets, qui existent, qu’on les regardent ou non. C’est pour préserver ailleurs, je crois, d’il, mais non d’elle.
La défaite s’accroît d’une violence sans drame, faite de cassures, texte et contingences, jusqu’au « cri hors circonstances » de l’instant où la succession s’est terrée. Passé ni futur ne semble pouvoir assigner place à l’instant. On est angoissé soudain de ne savoir d’où ni pour où, la succession se dévolue à l’instant, sur le sol serti dans la fuite. On quitte la linéarité d’un temps appris malgré les ornières répétées où on coule reflétant le ciel vide mais d’où on sort à petits coups d’hésitation tonique. Elle a pénétré le poème, avec l’altérité, en soi et hors de soi. Quasiment aucun mot abstrait dans cette avancée car c’en est une. L’insuffisance du langage laisse passer un pluriel, un nous, et puis l’insue (pour issue ?) parmi les choses devenues. Trop loin d’une origine, toutes choses sont données devenues / jamais là qui les fonde. On frappe aux existences, comme aux portes, cela crée des sons, des images, des pensées.
D’une seule traite jamais
Reste un peu d’enfance et des bêtes croisées qui s’éloignent.
Y a-t-il un récit ? il y a, très resserrée dans ses lacunes sous la peau fragile, une pellicule, squames ou film où rien n’est plus synchrone des perceptions et de leur expression. On traverse des matières, des manières de dire, on y marche, on y meurt. On arrache l’amont des choses, on suit des échos mais ce n’est pas fini, puisqu’entre peur et brouillon, l’insue travaille. C’est en cours. Une flèche dont l’arc est le trajet ne peut pointer, accueille une robe, une branche, des angles ; ce sont les bras ouverts de l’arc qui recueille le mouvement envisagé de la flèche, et la cible : les mains peut-être, les jambes, les images, les choses, les projets. Ainsi la phrase en cours de Maël Guesdon. Ainsi la phrase semble dans son extrême sobriété, appeler de la vie sur les objets qui la répercutent avant qu’elle ne puisse prendre son essor. Sobriété ? disons le peu qui reste de la phrase : traces des perturbations, extrême proximité du distinct et de l’indistinct jusque dans les genres, l’inutile finalité, l’origine imprécise ou rompue, comme si dans le cours de la séquence on changeait de point de vue. Pendant devenir, non pas après, qu’advient-on ? ou que nous advient-il ? Il y a les choses, les petits amas, hésitation précaution casseroles sursauts mains. Il y a les bêtes, des chiens des peurs. On n’a pas tout à fait pied dans la systématique. D’ailleurs de quel point de vue vous regardent les choses et les bêtes, les taxons ?
Les césures et le nombre qui font le poème, le genre poème, la musique poème, ne semblent pas ici produire du sens mais relever du sens, d’un sens sonnant dont on aurait coupé le son et qu’on marche cependant, comme on marche dans les rêves – il faut lire lentement comme quand on regarde, comme quand on ignore – parmi les ruptures et les accrétions, dans une pensivité qui chope le hasard d’objets simples venus de mondes multiples, des cailloux de poucet qu’il sauve de l’ogre de la conscience. La langue maigre et précise avance ou piétine dans l’avancée sans métaphysique, dans l’avancée d’une phrase peut-être où aucune ignorance n’est utile mais où l’ignorance fore ses puits de silence.
Les dispositifs de la langue se troublent, renversent un ordre mieux que ne le ferait un discours. Avec ce qu’il faut d’inquiétude. Une politique retourne un ordre dans la séquence, retient la conclusion d’une phrase, son pouvoir d’injonction. Résout quelques débâcles dans l’amour de l’autre. Mon école : tu pour toi. Tu précède un verbe que je ignore, toi n’est qu’un réceptacle. Alors le poème confère au féminin la puissance du récit, le statut défectif qui fait le récit, cela fait-elle un monde, et cela, justement, semble espérer.
Emmanuèle Jawad a publié sur Sitaudis, un bel article répertoriant les formes du poème de MG, jusqu’à la forme de l’informe qui sans cesse les bordent, il est inutile que je le fasse, aussi je préfère m’en aller dans les mélodies suspendues par les accords rompus du poème. La musique n’est pas donnée, on la pressent où elle vient à manquer, d’où elle se donnerait comme l’image, véritable césure dans le texte, hors circonstance.
L’étrangeté du poème nous rejoint petit à petit, nous laissant lire l’étrange. On est bien content. On flotte dans l’intense. La lecture est un des reflets du poème flottant sur son exigence et son resserrement ! Aucune étrangeté dans le lexique, c’est ailleurs, par ailleurs, où le cours s’arrête, juste avant l’aporie semble-t-il, juste devant le buisson, et qui fait rêver d’une résurgence, ailleurs, bientôt.
[Caroline Sagot Duvauroux]
Maël Guesdon, Voire, Éditions Corti, 2015