Date de sortie 10 décembre 2014
Réalisé par Abd Al Malik
Avec Marc Zinga, Sabrina Ouazani, Larouci Didi,
Mickaël Nagenraft, Matteo Falkone, Stéphane Fayette-Mikano,
Mireille Perrier
Genre Comédie dramatique
Production Française
Synopsis
Adapté du livre autobiographique de Abd Al Malik, Qu’Allah bénisse la France raconte le parcours de Régis, enfant d'immigrés, noir, surdoué, élevé par sa mère catholique avec ses deux frères, dans une cité de Strasbourg.
Entre délinquance, rap et islam, il va découvrir l'amour et trouver sa voie.
Marc Zinga
Entretien avec Abd Al Malik. Propos recueillis par Claire Vassé.
D’où est venu le désir de porter à l’écran votre livre autobiographique Qu’Allah bénisse la France ! ?
Je n’ai pas écrit ce livre pour en faire un film mais en l’écrivant, j’avais conscience de poser un jalon que je pourrais approfondir par la suite, grâce au cinéma. Cet art a une grande capacité d’humanisation, il permet d’aller voir derrière les apparences, de montrer que tous les êtres fonctionnent de la même manière. On fantasme énormément sur le rap, les cultures urbaines, la banlieue, la délinquance, l’islam, et j’ai voulu aller à l’encontre du discours sociologique ou médiatique, qui donne des statistiques mais parle très peu d’humain.
Beaucoup de films sont faits sur les cités mais trop souvent d’un point de vue extérieur. Ils peuvent être beaux mais ils ne nous rendent pas justice à ce que l’on est. Par exemple, ils vont traiter de la thématique de l’islam par le canal de l’intégrisme religieux. L’intégrisme existe mais ne concerne qu’une minorité.
Aucun film ne vous a rendu justice ?
Si, La Haine. Pour moi, c’était la première fois qu’un cinéaste voulait vraiment montrer la cité, avec amour mais aussi avec une démarche artistique. Découvrir ce film gamin a été fort pour moi, presque fondateur. Et puis après, j’ai rencontré Mathieu Kassovitz, je suis devenu son ami, on a eu de grandes discussions. C’est lui qui m’a poussé à être réalisateur. Mais aussi vrai et sincère que je puisse trouver La Haine, ce n’est quand même pas un regard de l’intérieur. Ce phénomène n’est pas propre à la France. Quand on regarde le néo-réalisme italien, c’est pareil. Moi, j’ai voulu casser ce cycle. Sans être revanchard mais avec l’ambition de nous raconter. Quand les italo américains ont découvert Le Parrain ou Mean streets, enfin ils se sont vus. Enfin ils faisaient partie de l’Amérique. Moi aussi, j’ai envie qu’on parle de nous et de nos problématiques sans que ce soit exotique. Mon ambition est de donner à voir, de sortir d’un fantasme malsain sur nous. Qu’on voit en Régis, Mike, ou Samir, la France, avec toutes ses ramifications communautaires. Mes racines sont africaines, certes, mais mes fruits sont français, et européens.
J’ai grandi à Strasbourg, la notion d’Europe existe peut-être plus pour moi que pour un Parisien !
À quelle époque se passe le film ?
D’une certaine manière, je reprends là où La Haine s’est arrêté. Kassovitz n’abordait pas la problématique religieuse car elle n’était pas encore d’actualité à l’époque. En revanche, elle est très prégnante depuis deux décennies. Mon histoire n’est pas datée précisément. Elle pourrait se passer aussi bien aujourd’hui qu’à la fin des années 90.
Dans votre film, la violence reste essentiellement hors-champ…
J’aurais pu, de manière légitime, faire le film le plus violent qui soit. Mais moi je voulais raconter ce qu’il y a avant cette violence, qui n’est qu’une conséquence. Samir, peut-être qu’il va finir en Syrie, et y mourir. Mais ce qui m’intéresse, c’est ce qui fait qu’il va devenir le type qui va partir en Syrie.
Vous prenez vos distances avec la mythologie de la violence, notamment la fascination véhiculée par Scarface.
Il faut se rendre compte de l’impact qu’a eu Scarface sur nous. J’ai vraiment vu des gens qui se prenaient pour Tony Montana et qui en sont morts. Quand on me demande combien de temps j’ai mis pour faire ce film, je réponds : trente-huit ans ! En trente-huit ans, j’ai eu le temps de me débarrasser de ce genre de mythologies, de ce qui aurait pu empêcher une compréhension directe de la réalité de la cité. C’est comme si j’avais fait une thérapie qui me permet aujourd’hui d’aller au coeur des choses, et d’être dans une démarche artistique. Je ne veux plaire à personne, je ne veux choquer personne, je veux juste être le plus fidèle à moi-même et aux gens que j’aime et avec lesquels j’ai grandi : ma mère, mes frères, mes soeurs, les gens de cité.
Le film pose la question de savoir jusqu’où on peut aller dans l’illégalité sans se brûler les ailes…
Moi j’étais bon élève le jour et délinquant la nuit. Non parce que je souffrais de schizophrénie mais parce que lorsqu’on est dans un groupe, on ne veut pas être ostracisé. Mon personnage se construit avec ce qu’il a autour de lui. Il est élevé seul par sa mère, dans une précarité réelle, un milieu criminogène où la délinquance est un moyen d’exister. En même temps, il a des passions : la littérature, l’écriture, le rap... Et il a l’ambition d’en faire quelque chose. Il a en puissance ce qui va lui permettre de s’en sortir mais ce n’est pas encore effectif,
Quand son copain leur apprend qu’il est rattrapé par sa faute, qu’il va sans doute prendre dix ans de prison, on se dit cette peine aurait pu tomber sur lui…
Oui, j’avais cette envie de filmer quelque chose d’impalpable : la chance. Comment untel va s’en sortir et pas l’autre ? Lui aussi aurait pu prendre cette peine de prison, ou être abattu à la place de Rachid. Il était important de me remettre dans ma peau de l’époque, que le Abd Al Malik d’aujourd’hui disparaisse pour ne pas étouffer le jeune Régis.
Lors de la scène d’enterrement de Rachid, vous devancez par écrit l’avenir de beaucoup de jeunes de la cité, essentiellement une mort prématurée.
Je voulais que l’on comprenne que très vite, on a été confronté à la mort. Elle était pour nous une réalité à la fois violente et normale. Violente car ne touchant pas seulement des personnages âgées. Et banale parce que tellement de gens sont morts autour de nous. Des amis, pas des vagues connaissances. Je voulais que cette liste soit comme un monument aux morts, un hommage à ceux qui sont décédés, que ce soit un moment d’arrêt dans le film qui explique en partie pourquoi le personnage est ainsi, pourquoi il a cette sagesse en lui, pourquoi il lit De la brièveté de la vie de Sénèque. D’autres cinéastes fantasment quand ils abordent cette violence. Pour moi, c’est une réalité.
La force de votre livre passait par l’expression d’un cheminement moral et intime… Comment conserver cette intériorité au cinéma ?
Grâce aux acteurs. On avait très peu de temps pour le tournage : vingt-huit jours. Mais on a travaillé plus de six mois en amont. On a fait beaucoup de répétitions, de lectures. On allait aussi sur les lieux de tournage pour discuter, se mettre dans l’ambiance. Il fallait qu’ils assimilent le texte, qu’on ne soit plus dans le cinéma mais dans la vraie vie, qu’ils soient totalement dans leurs personnages, qu’ils oublient la caméra. Il n’y avait que le temps et le travail qui pouvait permettre d’atteindre cela. Et évidemment leur talent. Car ils ont un talent incroyable. Et puis il fallait trouver la pierre angulaire sur laquelle je puisse construire cette justesse humaine : celui qui allait jouer mon rôle…
Comment avez-vous trouvé Marc Zinga ?
Je désespérais de trouver celui qui allait jouer mon rôle quand je suis tombé sur un unitaire pour Canal + sur Bob Denard où Marc jouait Mobutu. Il était phénoménal. J’ai voulu en savoir davantage sur lui, je l’ai ensuite vu au théâtre dans Une saison au Congo de Césaire et c’était juste fou : il était mon gars. Marc et moi, ça a été une belle rencontre, on s’est reconnus et entendus tout de suite.
Je voulais créer une tension entre lui qui allait jouer le leader et le reste du groupe. Il n’est donc pas venu tout de suite aux répétitions et je disais aux autres acteurs : "Attention, Marc va arriver, il ne rigole pas, il vient du théâtre, il a une formation classique, c’est un comédien exceptionnel…" Ils étaient impressionnés mais comme ils ont l’esprit de compétition, cela les stimulait aussi.
C’est Marc Zinga lui-même qui chante…
L’un de mes critères quand je cherchais mon acteur était qu’il fasse de la musique – Marc a un big band. Rien qu’en termes de tempo, au niveau du jeu, c’était important. Quand je filme, parfois je ne regarde même pas : je ferme les yeux et j’écoute la musique de la scène pour savoir si ça fonctionne. La plupart des acteurs du film font de la musique d’ailleurs. Quand on rappe, on doit être "dans le beat", avoir une musicalité.
Non seulement il chante bien mais son timbre de voix est extrêmement proche du vôtre…
Je ne savais pas que j’allais tomber sur quelqu’un du calibre de Marc ! Il me fait penser aux acteurs de la "Méthode", à Robert De Niro ou Denzel Washington. Sa manière de s’imprégner du rôle, de rentrer dans mon personnage, de me prendre des trucs a été bluffante – il m’a avoué plus tard qu’il avait été sur You Tube pour m’écouter… Le jour où je les ai fait se rencontrer, lui et les gamins, il est arrivé avec son texte, il s’est assis, ils ont commencé à jouer… Comme ils se connaissaient bien, les autres acteurs avaient leur langage. La prise d’après, Marc avait changé ses mots pour utiliser les leurs et il avait intégré leurs tics !
Et l’actrice qui joue votre mère ?
Elle aussi est non professionnelle. J’ai vu un nombre incalculable de femmes et l’ai trouvée in extremis. Ses essais étaient incroyables. Ce personnage a été le plus dur à caster car il est hyper important dans le film. Non seulement il incarne ma mère mais il synthétise mon rapport au féminin. J’ai été élevé par des femmes et du coup, j’ai quelque chose de très féminin en moi.
Et Sabrina Ouazani ?
C’est elle aussi une actrice exceptionnelle. Elle joue avec une facilité déconcertante mais reste humble et totalement à l’écoute. De mon point de vue, elle aussi est une très grande. C’est la vraie Naouale, mon épouse qui a eu l’idée de sa présence dans le film : "C’est elle que je veux pour jouer mon rôle." Je ne connaissais pas Sabrina mais elles deux se connaissaient, Sabrina est fan des chansons de ma femme depuis qu’elle est gamine.
Des plans montrant la beauté géométrique de la cité ponctuent le film…
La cité, j’en suis sorti mentalement par les livres mais physiquement, c’était mon univers. Et quand on est gamin, on magnifie les choses. Je voulais retrouver cette beauté, filmer les blocs tels que je les voyais à l’époque. Ces plans sont des mini ruptures dans le récit, ils montrent les gens tels qu’ils vivent dans la cité : ils vont faire des courses, se baladent…
Où avez-vous tourné ?
Dans ma cité au Neuhof, le quartier de Strasbourg réputé le plus difficile, là où les choses se sont réellement passées, où j’ai vécu vingt-huit ans, de six ans à trente-trois ans et où j’ai encore une partie de ma famille. Et les acteurs, à part Marc Zinga, Sabrina Ouazani et Mireille Perrier, sont pour la plupart des comédiens amateurs de ma cité, c’est-à-dire des gamins que je connais, que j’ai vu grandir. Même les gens qui travaillaient à la cantine ou à la sécurité étaient de la cité. En ayant toujours en tête cette volonté de se réapproprier notre réalité, de parler de nous–mêmes…
Et le désir du noir et blanc ? Un hommage à La Haine ?
Il y a de ça, et aussi un hommage au cinéma de Visconti, Rocco et ses frères notamment qui est une grande source d’inspiration. Mais ce n’était pas la raison première. Quand j’écrivais, je voyais déjà le film en noir et blanc.
Avec Fabien Coste, qui est aussi mon manager, on a fait La guerre des banlieues n’aura pas lieu et Le Dernier Français, des livres illustrés par des photos, en noir et blanc. On a créé une esthétique que j’avais envie de poursuivre dans ce film. Pendant les six mois de préparation, on prenait des photos sur les lieux, j’avais précisément le film en images dans ma tête.
Et le choix de Pierre Aïm le chef opérateur de La Haine justement ?
Quand je parlais avec les producteurs, je leur montrais donc ces photos et c’est eux qui ont proposé Pierre Aïm. Ils avaient envie de retravailler avec lui depuis longtemps. C’est donc un concours de circonstances assumé ! Pierrot a tout de suite vu où je voulais en venir. Je lui ai montré les photos, je lui ai parlé aussi de Rocco et ses frères, de La Haine et d’Un monde sans pitié. J’aime l’esprit générationnel du film d’Eric Rochant, l’histoire d’amour compliquée. Le film m’a vraiment touché à sa sortie et je voulais retrouver cette émotion.
Et la musique du film ?
Elle est signée par mon frère ainé Bilal – qui fait aussi toutes mes musiques–, par Laurent Garnier et Wallen. Toutes les musiques ont été composées avant que le film soit fait et je tournais certaines scènes en les ayant en tête. Et la monteuse a directement monté sur elles. Les harmoniques ont évolué, voire changé, mais les rythmiques n’ont jamais bougé.
Et le choix des quelques chansons non inédites ?
Elles sont là pour symboliser la réussite du personnage, les textes en disent beaucoup sur son cheminement. Que ce soit Soldat de plomb ou Gibraltar, qui nous raconte son voyage vers l’orient pour retrouver sa boussole intérieure.
Il y a aussi beaucoup d’humour dans le film…
Je ne me suis pas dit que j’allais écrire des scènes pour faire rire, c’est juste que c’est comme ça dans la cité : on raconte une blague, on rigole, et une heure après, le pote avec lequel on rigolait est mort, c’est la vie.
Comment avez-vous vécu le tournage de ce premier film ?
C’était mon premier film mais j’avais déjà réalisé des clips et j’ai l’habitude de travailler en équipe depuis vingt ans. Même si les egos des musiciens sont encore plus particuliers que ceux des acteurs ! On était vraiment contents de travailler ensemble, c’était une aventure merveilleuse.
Ce film est une histoire d’amour dans tous les domaines : avec ma mère, avec Naouale, avec la musique, avec mes frères, avec mes potes, avec l’école, avec la cité et avec la France.
Mon opinion
"Ce film est une histoire d’amour dans tous les domaines : avec ma mère, avec Naouale, avec la musique, avec mes frères, avec mes potes, avec l’école, avec la cité et avec la France", a déclaré le réalisateur.
Le très lettré, Abd Al Malik réalise ce premier long-métrage avec une certaine audace. Un coup de pied à l'intolérance qui se repend aujourd'hui.
Pour mettre en images son roman éponyme, le réalisateur a misé sur une remarquable photographie en noir et blanc, signée par Pierre Aïm.
Toutefois, les dialogues n'arrivent pas à traduire à l'écran la force des mots du roman. La réalisation, souvent incertaine fait penser à celles de certains clips vidéos.
L'éclatant sourire de Sabrina Ouazani et quelques passages musicaux réussis ne suffisent pas à captiver de bout en bout.
Sans être un chef d'œuvre, je reconnais volontiers le courage et l'humanisme de l'entreprise. L'espoir qui devrait poindre, aussi.
Sources :
http://medias.unifrance.org