Que devais-je faire, ce matin, là, à la machine à café ?
Je suis restée dans le vague des murs gris, des affichages syndicaux, des consignes de sécurité, mon gobelet haud dans les mains. Perdue. Pour finir un rapport, je suis venue plus tôt, laissant les enfants dans les mains de leur père, prenant le premier train du matin. Des documents à relire, une synthèse à revoir, la première version ne me satisfaisait pas. Un doute, un bruit dans cet open-space si vide, les toilettes, j'ai poussé la porte. Elle était là, en larmes, effondrée.
Ma collègue, une charmante consultante admirée pour son talent de négociation, pour sa maîtrise des dossiers complexes et sa pugnacité à vaincre les freins politiques de nos projets. Brillante aussi par son élégance, toujours avec des tailleurs bien coupés, des chaussures qui nous rendent jalouses par sa capacité àchoisir le bon modèle tendance du moment, la plus adapté pour une réunion, une soirée, un séminaire, toujours féminine et admirable. Récemment mariée, quelques photos traînent sur son coin privé, une belle robe blanche, des amies, des collègues dont moi, son mari.
Elle, si exemplaire aux yeux des hommes comme des femmes de notre équipe, elle si différente là cematin, malgré un sursaut de fierté intérieure, pour ne rien laisser paraître. Les larmes étaient trop lourdes, le poids trop important, j'étais la première, la seule présente, elle m'a tout confiée. Un couple si heureux, du moins dans nos esprits, Toujours heureuse avec lui, des voyages, du shopping, des sorties, des belles photos, un beau mariage, mais finalement derrière cela une fêlure. Un goufre même. Une chute abyssale. Des douleurs, des traces, des bleus, des marques.
J'ai écouté ses propos, silencieuse face à l'énormité de la folle situation. Lui, elle, eux, une relation d'amour, une relation impossible. Leurs rapports ont toujours été compliqués, mais les sentiments estompaient la réalité. Pourtant flagrante. Puis il y a les moments , un soir, des doutes, des gestes, des paroles, une blessure. Un pardon, D'autres plus tard, toujours des cadeaux, des excuses, des promesses de ne plus recommencer, des chantages aussi, pour partager ses actes.
Et pourtant mon analyse sans bruit, figée par les mots si forts, abasourdie par la violence,var c'est bien de cela que nous parlons. Des coups, des gestes brutaux, des violences physiques, un sénario que je n'ose imaginer. impossible pour elle, comme pour aucune de mes proches, pour aucune de mes amies, aucune femme. Je l'ai aidé à se redresser, à sécher les larmes, à panser les plaies, les bleus sans résoudre les douleurs dans la chair mais aussi dans l'âme. Je lui ai donné deux comprimés pour dormir, appelant un taxi, lui donnant les clefs de chez moi, un endroit neutre, loin de chez eux. J'ai prévenu mon mari, médecin de plus, pour qu'il l'aide à son arrivée, pour qu'il appele un collègue spécialisée pour constater les dégâts, présents et passés.
Là face à des murs gris, je suis restée loin de mon rapport, des chapitres à finir, perdue dans l'incroyable labyrinthe de la folie masucline, d'un homme qui croit s'assumet en battant sa femme. Faiblesse ultime, folie intérieure, je ne connais les leviers de ce processus impossible, d'autant que je n'ai jamais imaginé ou prêté attention à ce détail, surtout avec elle, si lumineuse. Devant mon écran, je reste troublée, car comment le voir, le prévoir, l'aider, réagir, comprendre, tant de questions.
Non, à cette violence invisible, à cet aveuglement extérieur, à ce silence intérieur. Heureusement aujourd'hui il s'est rompu, débordant, inondant de ses douleurs l'espae, libérant un début de soins, finissant ce lien entre eux.
Nylonement