Après Truman Capote et Le Stratège, Bennett Miller s'empare d'une autre histoire vraie pour en faire la matière de son troisième long-métrage. Ici, il s'agit d'un fait divers glaçant, qui prend son essence dans une relation malsaine entre un coach, un champion de lutte et son frère. Prix de la mise en scène au festival de Cannes, Foxcatcher met en scène une vérité sous la forme d'un exercice de style, qui peut exclure certaines formes de réalisme, pour un côté plus abstrait, plus voilé.
Ce film, à l'étrangeté parfois dérangeante, est organisé à travers un tryptique de personnages, interprétés par des comédiens qui eux font du naturalisme leur source de jeu. Tout d'abord, il y a Mark Schultz, joué par Channing Tatum, une brute au grand cœur qui rêve d'or pour les prochains jeux olympiques. Il y a son nouveau coach, John Du Pont, débordant d'ambiguïté, interprété par un Steve Carell méconnaissable, qui délaisse le comique pour un burlesque morbide, oscillant sans cesse entre pitoyable et impitoyable. Lui veut aussi de l'or, mais surtout, désire à tout prix une reconnaissance qu'il n'a jamais eue. Puis, il y a Dave Shultz, le grand frère protecteur de Mark, appelé et forcé de s'immiscer dans cette relation toxique. Foxcatcher marque en grande partie par les numéros de ses trois comédiens principaux. Les corps sont mis à nu, et symbolisent une rupture avec la délicatesse au dépit d'une brutalité, tremblante entre amour et rage.
Ces corps sont domptés par une animalité, qui s'inscrit intensément au cœur de la thématique du film : la chasse. John Du Pont serait le chasseur ; des images d'archives et plusieurs objets de sa propriété dévoilent qu'il s'agit d'une coutume dans la famille ; Mark Schultz aurait tout de la victime, de la proie qu'on apprivoise pour mieux affaiblir (les compliments aux échos paternels, la manipulation à travers les discours, la cocaïne) et Dave Schultz, qui voit son instinct protecteur vivifié face à l'affaiblissement de son frère, serait le défenseur de Mark. Du Pont fait basculer son élève prodige dans un masochisme viscéral, allant de la boulimie aux coups qu'il s'inflige, jusqu'à ce que sa proie soit tirée comme une bête abattue lors de son dernier combat.
Rythmé par des notes sèches au piano, Foxcatcher hante par son ambiance brumeuse, glaciale et sans soleil, qui rappelle celle de Truman Capote. La brume omniprésente dans le film s'apparente au voile d'incompréhension déposé sur le « dénouement » du long-métrage, un voile assumé par le réalisateur, lié au crime commis par Du Pont. Est-ce un crime passionnel lié à un désir homosexuel ? Ou à une jalousie pure et féroce ? Ou tout simplement à la folie latente qui ronge ce personnage, dont les intentions sinistres se dissimulent dans son duel avec Mark ? Le vrai John Du Pont n'a jamais admis son homicide.
Foxcatcher est une marche funèbre vaporeuse, une chasse, lente et brutale à la fois, un matin blanc et froid. Puisant une partie de son énergie dans celle des corps, la matière du film en devient, paradoxalement, surréaliste, comme un cauchemar en plein jour.