#Palestine #Israel
Bien que les gouvernements israéliens successifs se prononcent en faveur de la création d’un Etat palestinien, la solution des deux Etats est remise en cause par la poursuite de la colonisation et la volonté de la droite israélienne de s’orienter vers une solution à un seul Etat, l’Etat d’Israël de la Méditerranée au Jourdain. Deux correspondants permanents à Jérusalem, Charles Enderlin et Marius Schattner, analysent cette évolution inquiétante.Pourquoi au sein de la droite israélienne, on évoque de plus en plus la solution à un seul Etat de la Méditerranée au Jourdain ?Charles Enderlin : La solution des deux Etats est devenue inapplicable aujourd’hui en raison du nombre trop élevé d’Israéliens vivant dans les colonies de Cisjordanie (360.000) et de Jérusalem-Est (190.000). Même si dans le cadre d’un accord définitif, Israël conserve des blocs de colonies, il restera encore 150.000 Israéliens en Cisjordanie à évacuer. S’il a fallu faire appel à 13.000 militaires et dépenser des milliards de shekels de compensations financières pour évacuer 8.000 colons de Gaza en 2005, on peut s’interroger sur la possibilité d’une évacuation de quelque 150.000 Israéliens de Cisjordanie. Voilà pourquoi au sein de la droite nationaliste (Likoud), on estime qu’il est impossible de concrétiser la solution des deux Etats. Que reste-t-il à faire ? Moshé Arens, ancien ministre de la Défense, suggère plusieurs possibilités. Soit on maintient le statu quo actuel, ce qui est la solution la plus cohérente et la plus logique; soit on revient à l’idée selon laquelle la Jordanie est l’Etat palestinien et on transforme ainsi les Palestiniens de Cisjordanie en citoyens jordaniens, ce qui me paraît irréaliste; soit encore, on impose la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie et Jérusalem-Est et on accorde tous les droits civils et politiques aux Palestiniens qui deviennent ainsi citoyens à part entière de l’Etat d’Israël.Marius Schattner : Il faut rappeler que des personnalités de droite, comme Rubi Rivlin (ancien président de la Knesset) ou Moshé Arens, se sont toujours opposées à la création d’un Etat palestinien. Ils se rattachent à une tradition de la droite nationaliste hostile à toute idée de partage au nom de l’indivisibilité d’Eretz Israël. Aujourd’hui, la solution prônée par la droite nationaliste israélienne est celle d’un seul Etat, un Etat juif comprenant la Cisjordanie. Que font-ils alors des Palestiniens de Cisjordanie ? Pour les plus démocrates, tels Rivlin et Arens, les Palestiniens deviendraient des citoyens israéliens à part entière, comme les Arabes israéliens. Cette idée demeure marginale. Pour les autres, majoritaires, les Palestiniens doivent se voir attribuer la citoyenneté… jordanienne en devenant résidents en Israël. On comprend très vite qu’ils préconisent l’extension du statut de résidents permanents des Palestiniens de Jérusalem-Est à l’ensemble des Palestiniens de Cisjordanie. Cette option traduit concrètement l’idée selon laquelle les Palestiniens ne seront jamais des citoyens à part entière d’Israël.Ces personnalités de droite ne craignent-elles pas que la solution à un seul Etat bouleverse l’équilibre démographique au détriment des Juifs qui deviendraient une minorité ?M. Schattner : Bien au contraire, elles sont convaincues que les Juifs vont conserver la majorité démographique entre la Méditerranée et le Jourdain ! Pour ce faire, elles s’appuient sur des études selon lesquelles la natalité palestinienne sera amenée à baisser en raison de l’augmentation de leur niveau de vie. Israël compterait donc six millions de Juifs et 3,2 millions de Palestiniens (dont 1,2 million d’Arabes israéliens). Pour Rivlin et Arens, c’est jouable. Je pense que ce calcul se fonde sur un équilibre démographique très discutable.Ch. Enderlin : Elles vous répondent qu’Israël a déjà réussi à intégrer sa minorité arabe. Ce n’est pas un million et demi d’Arabes en plus qui bouleversera l’équilibre démographique israélien. Et lorsqu’on leur fait remarquer que la démographie est plus importante chez les Palestiniens, elles déclarent que les chiffres palestiniens ne sont pas toujours exacts !Pensez-vous que des hommes de la droite nationaliste comme Rivlin ou Arens soient sincères lorsqu’ils prétendent vouloir accorder aux Palestiniens la citoyenneté à part entière ?Ch. Enderlin : Elles vous répondent qu’Israël a déjà réussi à intégrer sa minorité arabe. Ce n’est pas un million et demi d’Arabes en plus qui bouleversera l’équilibre démographique israélien. Et lorsqu’on leur fait remarquer que la démographie est plus importante chez les Palestiniens, elles déclarent que les chiffres palestiniens ne sont pas toujours exacts !Pensez-vous que des hommes de la droite nationaliste comme Rivlin ou Arens soient sincères lorsqu’ils prétendent vouloir accorder aux Palestiniens la citoyenneté à part entière ?Ch. Enderlin : Je ne sais pas dans quelle mesure leur discours est sincère, mais Moshé Arens et Rubi Rivlin ne cessent de le répéter dans les médias.M. Schattner : Je pense que Rubi Rivlin est sincère lorsqu’il déclare qu’il faut attribuer la citoyenneté israélienne pleine et entière aux Palestiniens de Cisjordanie. A travers son parcours politique, il a prouvé que l’égalité des droits entre Juifs et Arabes n’est pas une vue de l’esprit. Cela lui a même souvent porté préjudice au sein de son parti, le Likoud. Je doute en revanche de la sincérité d’autres hommes politiques de droite qui ne se sont jamais distingués par l’exigence démocratique ni par leur indignation face aux violations des droits des Palestiniens. La meilleure manière de mesurer leur sincérité est de voir comment ils comptent définir les règles d’attribution des terres, par exemple. Aujourd’hui, lorsque des discriminations se posent à Jérusalem-Est ou à l’intérieur d’Israël, on ne les voit jamais intervenir pour défendre les droits des Arabes. C’est la raison pour laquelle je pense qu’il s’agit surtout d’un écran de fumée. Ils veulent en réalité le territoire et non pas les gens qui y vivent. L’essentiel étant qu’il n’y aura pas d’Etat palestinien. Et si les Palestiniens veulent se doter d’une expression nationale, la droite israélienne leur répond qu’ils n’ont qu’à s’installer en Jordanie ! Je me méfie des gens qui disent « nous voulons vivre ensemble » et se montrent incapables de reconnaitre à l’Autre ni le droit à l’autodétermination ni la réciprocité des droits.La solution des deux Etats a donc vécu ?Ch. Enderlin : Je pense qu’il faut commencer à réfléchir à d’autres modèles, d’autant plus que la communauté internationale n’a aucune intention d’exercer la moindre pression sur les parties pour aboutir à un accord impliquant l’évacuation de colons. Certains d’entre eux sont déterminés à ne pas quitter cette terre qu’ils considèrent comme biblique. A l’heure actuelle, 55% des élèves de l’école d’infanterie et 40% des officiers d’infanterie sont des nationalistes religieux. La majorité d’entre eux sont issus des colonies ou les soutiennent. Sans oublier certains officiers supérieurs qui vivent dans des avant-postes illégaux.M. Schattner : Je suis désespéré. La seule solution viable, celle des deux Etats, devient jour après jour de moins en moins crédible. Bien qu’on soit contraint de prendre en considération l’idée selon laquelle Israël est devenu une société binationale, je ne vois pas comment deux peuples en conflit et en pleine cristalli-sation nationaliste vont passer du jour au lendemain à la coexistence pacifique dans un Etat commun. Cela ne peut pas marcher. Et de la même manière, on ne peut pas conserver le statu quo actuel : avec l’occupation et la colonisation, nous vivons dans une société binationale discriminatoire et ségrégationniste.La situation est-elle irréversible ?Ch. Enderlin : Si la situation n’est pas irréversible, elle s’en approche sérieusement. La gauche israélienne n’a malheureusement pas vu, ni voulu voir venir l’irréversibilité de la colonisation. Lorsque Ehoud Barak est Premier ministre entre 1999 et 2001, certaines colombes à l’origine du processus d’Oslo siègent à ses côtés. Or, pendant cette période, on a construit plus de logements dans les colonies que sous Yitzhak Shamir. Après le massacre commis par Baruch Goldstein au Caveau des patriarches en 1994, Yitzhak Rabin n’a pas démantelé les colonies de Hébron ni de Kyriat Arba. Et après l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995, Shimon Peres n’a pas voulu que la commission d’enquête examine en profondeur le problème de l’extrémisme religieux dans le monde juif. Tous ces renoncements ont été à chaque fois justifiés par l’espoir de parvenir à un accord avec les nationalistes religieux. Or, leur mouvement est véritablement révolutionnaire, et pour ce dernier, la fin justifie les moyens. Le mouvement nationaliste religieux a tout fait pour que la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est devienne irréversible.M. Schattner : Affirmer comme Charles Enderlin que la situation est irréversible me semble relever d’une vision théologique. C’est un point de vue qui se situe en amont de l’analyse. L’histoire de l’Humanité est remplie de situations qui semblaient irréversibles. Cela ne m’empêche pas pour autant d’être réaliste…Journaliste franco-israélien, Charles Enderlin est correspondant permanent de France 2 à Jérusalem depuis 1981. Il devient ensuite chef de bureau en Israël de cette même chaîne de télévision. Il a consacré de nombreux livres et documentaires aux négociations de paix israélo-arabes ainsi qu’à l’échec du processus de paix initié à Oslo en 1993. Il vient de publier cette année Au nom du Temple (éd. Seuil), une enquête sur l’essor du fondamentalisme messianique juif en Israël depuis 1967.Marius Schattner est journaliste et vit en Israël depuis 1968. Après avoir débuté au quotidien Libération, il a rejoint l’Agence France-Presse (AFP) dont il fut correspondant à Jérusalem. Spécialiste de la vie politique israélienne, il a décrit avec précision l’histoire et le cheminement de la droite israélienne dans un livre éponyme aux éditions Complexe. En 2008, il a analysé dans Israël, l’autre conflit : laïcs contre religieux (André Versaille éditeur) l’opposition frontale entre deux conceptions de l’identité israélienne. Il prépare aujourd’hui un livre sur la genèse de la Guerre de Kippour.http://www.cclj.be/article/2/4492Propos recueillis par Nicolas Zomersztajn