Cécile Duflot (au centre) en soutien à Syriza le 19 janvier à Paris, avec Clémentine Autain, Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent (Photo Albert Facelly pour «Libération».)
La première bonne nouvelle grecque, c’est de faire renaître un vrai débat européen. La Grèce n’est pas un pays parmi d’autres et il ne s’agit pas d’une élection entre mille. Vouloir réduire la victoire de Syriza à un télescopage franco-français ou à son duplicata sur notre scène politique serait une immense erreur. La Grèce a une place historique, connue de tous, berceau de la démocratie, elle est le foyer de la civilisation européenne et a livré bien des mots de notre dictionnaire. Plus récemment, elle a été le laboratoire, puis le déclencheur des politiques d’austérité européenne. C’est après l’attaque spéculative sur la dette grecque de 2010 que s’est enclenchée la spirale austéritaire.Dans un étonnant consensus forgé sur l’obsession de la dette, Angela Merkel avait alors obtenu de manière répétée des mesures absurdes et périlleuses pour l’économie et la société grecque. Les plans d’austérité se sont succédé, élaborés par une Troika qui a fait de son remède aux maux économiques, un véritable poison. Sur le modèle des politiques d’ajustement structurelles menées en Amérique latine par le FMI, les conséquences furent dramatiques. Explosion de la mortalité infantile, appauvrissement généralisé, démantèlement des structures sociales et atteintes majeures à l’environnement ont été les principales conséquences de ces cures. C’est à partir de ce modèle que cette thérapie de choc a ensuite été généralisée et appliquée à d’autres pays européens. La victoire de Syriza nous donne la possibilité d’en finir avec ce cycle infernal. Elle se déroule par ailleurs à un moment où la prise de conscience des dégâts de l’austérité se généralise. Alors que les experts européens et mondiaux appellent tous l’Union à changer de politique, un nouveau consensus peut naître. Mario Draghi vient de rompre avec les dogmes de la Banque centrale européenne. L’Union européenne pourrait en finir avec les dogmes du pacte de stabilité. L’élection grecque ouvre enfin une brèche dans le glacis libéral.
NE PAS TOMBER DANS LE PIÈGE TRADITIONNEL DE LA GAUCHE
Le succès de Syriza est devenu une responsabilité européenne. La France aura un rôle particulier à jouer : celui d’être le premier soutien du changement grec. Dans les jours qui viennent, Alexis Tsipras va chercher à renégocier cette dette. Nous devons engager une vaste campagne européenne pour que les gouvernements nationaux acceptent les propositions grecques. L’Europe ne doit pas barguigner, ni se chercher d’excuses. On aurait tort d’oublier qu’en 1953, réunis à Londres, les principaux chefs d’Etats n’avaient pas hésité à effacer une bonne partie de la dette allemande pour permettre la reconstruction. La demande grecque est celle d’une renégociation et non d’un effacement de la dette. Nous devons soutenir cette revendication. Nous devons aussi appuyer les réformes que souhaite porter ce nouveau gouvernement : la mise en place d’un cadastre, la lutte contre l’évasion fiscale et le contrôle tant des armateurs que de l’Eglise.Nous devons aider la Grèce, mais nous devons aussi l’inviter à ne pas tomber dans le piège traditionnel de la gauche. A une politique absurde d’austérité ne doit pas succéder une politique aveugle de relance. Tant les enjeux environnementaux que la lutte contre la pauvreté sont au cœur des urgences grecques. Que M. Tsipras ne s’enferme pas dans une course mystique à la croissance et fasse le choix d’une politique ciblée d’investissements. A quelques mois de la Conférence climat, il serait par exemple fort dommage que ce nouveau gouvernement privilégie le choix d’ouvrir des centrales à charbon plutôt que d’engager une véritable transition énergétique. A l’épreuve du pouvoir, tel sera le plus grand défi de Syriza, celui de bâtir un nouveau modèle de développement qui mise sur le partage et la coopération, plutôt que sur la concurrence.Nous avons ainsi l’occasion de faire la preuve que l’Europe n’est pas congelée dans le libéralisme, mais peut faire des choix politiques audacieux. Nous pourrons enfin passer d’une construction européenne tournée vers la stabilité financière à une conscience européenne basée sur la solidarité. Sur ces fondements, nous pourrons bâtir enfin les Etats-Unis d’Europe. Des mesures immédiates peuvent être prises à commencer par la mutualisation des dettes et une véritable transition énergétique. La relance écologique peut être un véritable horizon de sortie de crise pour ce projet européen. Tel est le sens de cette excellente nouvelle grecque : il est l’heure d’une alternance européenne. Elle a démarré à Athènes. Elle ne fait que commencer. Nous devons tout faire pour l’appuyer.Cécile DUFLOT (Députée EE-LV, ex-ministre de l’Egalité des territoires et du Logement)http://www.liberation.fr/politiques/2015/01/25/syriza-l-heure-de-l-alternance-europeenne_1188473