Depuis quelques mois, beaucoup d'observateurs commencent à considérer que Microsoft vit actuellement un moment décisif de son histoire, qui verra l'éditeur entrer dans une phase de lent déclin ou, au contraire, rebondir dans le monde numérique moderne. La présentation de ses nouveautés pour 2015 permet-elle d'affiner le pronostic ?
Pour le savoir, examinons en détail le contenu des annonces, en passant en revue, successivement, Windows 10, Surface Hub et HoloLens (la vraie surprise du lot), les 3 composantes qui feront l'avenir de l'entreprise selon son patron, Satya Nadella. Sans totalement déflorer le sujet, précisons d'emblée que l'enthousiasme quasi-généralisé de la presse et des analystes (par exemple de Forrester) ne semble pas entièrement justifié et qu'un regard critique n'est peut-être pas inutile…
Windows constitue le socle essentiel du modèle économique de Microsoft, aussi, après l'échec – désormais avéré – des versions 8 et 8.1, la prochaine itération représente-t-elle un enjeu absolument décisif : si Windows 10 ne séduit pas les entreprises et les particuliers, la survie deviendra problématique. Alors, quels sont les arguments mis en avant pour réussir ce pari ? Une série d'évolutions plutôt mineures, une expérience utilisateur similaire sur tous les appareils et la gratuité. Sérieusement ?
Je n'ai pas réalisé d'enquête scientifique sur le sujet, mais, apparemment, la plupart des réfractaires aux récentes moutures du système d'exploitation lui reprochent son interface déroutante. Ce n'est certainement pas en restaurant le menu « démarrer » et en corrigeant (enfin !) quelques défauts sur celle-ci que ce sentiment va évoluer en profondeur. Le nouveau navigateur web, qui, pour l'essentiel, essaie de faire oublier les plaisanteries éculées à propos d'Internet Explorer et revient tout juste au niveau de la concurrence, risque de ne pas être plus convaincant.
Un seul système d'exploitation et une expérience unifiée pour tous les écrans (PC, tablette, smartphone, internet des objets et même la console de jeux Xbox) ? Après tant de tentatives – toutes soldées par des échecs – avec une telle stratégie, il est incompréhensible qu'elle puisse encore être élargie ! Le message est pourtant clair : les utilisateurs n'ont que faire d'une expérience identique, ils demandent avant tout des outils simples, optimisés pour chaque appareil et son contexte d'usage. En la matière, Apple donne l'exemple…
Avec une pointe de cynisme, on pourrait dire que Microsoft ne croit pas beaucoup à sa solution puisque la mise à jour sera offerte gratuitement pendant un an (et probablement au-delà). Certes, il s'agit là d'un moyen d'inciter les consommateurs à donner une chance à un système différent, devant lequel ils hésitent. Mais le geste n'est-il pas désespéré ? En tout état de cause, il ne facilitera pas la migration dans les entreprises, pour lesquelles le coût du changement restera un frein majeur.
Vient ensuite Surface Hub, dont le nom est déjà presque synonyme de flop ! Au début, il y a eu la table Surface, définitivement perdue pour la postérité, suivie par la tablette, dont les ventes ne sont pas florissantes, dans un marché global qui serait, au mieux, stagnant. Cette fois, c'est une combinaison de tableau blanc numérique, d'écran interactif et d'interface de visioconférence qui reprend le flambeau du nom maudit. Un produit techniquement intéressant, visiblement, même s'il n'a rien de révolutionnaire.
Mais que diable vient faire Microsoft dans une telle niche ? Alors même qu'une bonne partie de ses aventures dans le matériel n'a jamais donné de résultats probants, qui peut croire à ses chances de s'imposer dans un domaine où les acteurs spécialisés sont nombreux et sont déjà bien implantés chez les utilisateurs potentiels de ce genre de systèmes (destinés à des usages professionnels) ?
Enfin, il reste HoloLens et le soi-disant avenir holographique de Windows 10 (il n'y a, en effet, pas le moindre soupçon d'holographie dans la technologie en question). Chaussez une paire de lunettes et évoluez dans l'univers enrichi qui se présente devant vous, intégrant objets virtuels dans le réel (celui-ci étant visible directement, en transparence). Voici donc un concept de réalité augmentée (tel qu'il existe depuis des années, par exemple chez Total Immersion), auquel s'ajoutent des capacités d'interaction inédites.
En inventant un mode radicalement nouveau d'interaction homme-machine, l'idée est extrêmement ambitieuse et c'est ici la capacité (historiquement déficiente) de Microsoft à créer un marché qui soulève question. D'autant que son produit ne va résolument pas dans le sens des tendances du moment – avec une vocation « portable » mais pas « mobile » – et que sa proposition de valeur, focalisée d'abord sur quelques applications (notamment professionnelles et ludiques), ne laisse pas particulièrement entrevoir l'émergence d'un besoin universel.
Conclusion ? Entre un Windows qui tente de corriger ses erreurs passées et s'enfonce dans une dangereuse logique multi-appareils, un OVNI en forme de tableau blanc interactif et une paire de lunettes au destin au mieux lointain, il subsiste un trou béant dans la stratégie, du côté du mobile et des objets connectés. Car le système qui est promis à ces équipements n'évolue pas significativement, alors qu'il peine clairement à s'imposer (une grande banque américaine abandonnant son application pour Windows Phone est un signe qui ne trompe pas).
L'avenir de Microsoft repose aujourd'hui sur des paris très risqués. Il est difficile de voir HoloLens comme la voie de la rédemption, tandis que Windows 10 pourrait lui faire perdre encore un peu plus de parts de marché : que restera-t-il alors ?