d'après LA MAIN D’ÉCORCHÉ de Maupassant
Un jour, il y a six mois,
Mon ami Romain Chamois
M’invitait chez lui avec des camarades.
Nous avions bu plusieurs rasades
Quand, après le déjeuner,
Il nous montra une main d’écorché,
Longue, noire, décharnée.
La peau était parcheminée.
Les ongles étroits
S’incarnaient dans les doigts.
Romain nous raconta :
« À la brocante d’Étretat,
On vendait les affaires
D’une sorcière
Qui, parait-il, brandissait
Cette main desséchée
Lorsqu’elle jetait des sorts aux passants.
Je l’ai achetée dix francs ! »
-« Que vas-tu faire de cette horreur ? »
Demanda Claude Bonheur.
Romain lui répondit tout net :
-« J’en ferai mon bouton de sonnette
Pour effrayer mes créanciers ! »
Jean, un de nos amis, sous-officier,
Lui conseilla en riant :
-« Enterre ton débris, et chrétiennement !
Je ne croyais pas aux sornettes
Mais j’ai voulu voir l’étrange sonnette
Et retournai le soir-même chez Romain :
-« Où est-elle passée, ta main ?
Je ne l’ai pas vue sur ta porte. »
-« Mon propriétaire, ce cloporte,
M’a prié de la dévisser
Sans quoi, il se verrait forcé
De me donner congé !
Je l’ai donc ôtée et rangée
Dans un tiroir. »
Ma curiosité assouvie,
Je lui souhaitai le bonsoir
Et rentrai me mettre au lit.
Mais au point du jour,
Quelqu’un hurla dans ma cour.
C’était le valet de Romain :
-« Mon… pauv’ maître…M. Romain
Vient d’être agressé ! »
Je me vêtis et me rendais
À son domicile.
Trois policiers en civil
Parlaient tout bas.
Et le médecin se tenait là,
Au bord du lit, où Romain gisait
Sans connaissance, les pupilles dilatées.
Et le cou ensanglanté.
Le lendemain matin, je lisais
Dans le journal ce récit :
’’Au 6 rue Mercœur,
Domicile de M. Romain Chamois,
Un attentat a été commis
Hier soir vers onze heures.
Le valet de M. Chamois,
Nous a déclaré
Qu’il avait été alerté
Par des cris aigus provenant du salon.
Il était accouru et constatait
Que son maître gisait de tout son long.
Il a distingué
Cinq entailles sur le cou, sans doute causées
Par des ongles fins et vert-de-grisés.
Précision du rapport du Docteur Labbé :
L’agresseur avait une main osseuse
Et sûrement une force prodigieuse.
Le mobile du crime est inexplicable
Et son auteur reste introuvable.’’
Plus tard, l’infirmier de l’hôpital
Me disait craindre pour l’état mental
De Romain Chamois.
Il avait vu juste. Début août,
Mon pauvre ami devenait fou.
Pendant six mois,
J’allais le voir
Tous les soirs.
Il ne prononçait rien de pertinent
Et me disait :
’’Un fantôme me poursuit tout le temps !’’
Parfois, il criait :
’’Une main m’étrangle. Au secours !
Ôte-la de mon cou ! Au secours ! ’’
Il mourut le 10 février.