Résultat de la méritocratie républicaine malgré ses origines sociales très modestes et des conditions d’études peu
aisées, elle s’est engagée avec ardeur pour en finir avec le communautarisme des banlieues mais aussi contre les mots des journalistes qui excluent et qui communautarisent eux
aussi.
C’était sans compter sur le "service après-vente" médiatique de l’attentat contre "Charlie Hebdo".
Résultat, Emmanuel Macron a été déprogrammé, et de très nombreux invités étaient priés de parler de l’après-Charlie. Le Ministre de l’Intérieur
Bernard Cazeneuve et la vice-présidente de l’UMP Nathalie Koscisko-Morizet étaient chargés de discuter de
la lutte contre le terrorisme, puis un autre plateau, sur l’école, la laïcité, les incivilités, etc. avec la (jeune) Ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem et autour d’elle, de nombreux acteurs de la vie éducative.
Il faut bien l’avouer, il y a une véritable inégalité devant la caméra. Certaines personnes sont,
lorsqu’elles s’expriment sur un plateau télévisé, au mieux ennuyeuses, au pire agaçantes par leur arrogance, leur militantisme ou leurs certitudes, tandis que d’autres, beaucoup plus rares, sont
douées, attirent tout de suite l’attention, l’œil qui pétille, le corps qui frétille, l’argumentation solide qui se déroule, la force de caractère qui s’éprouve.
C’était un peu le problème de ce débat autour de Najat Vallaud-Belkacem : il n’y avait que des invités
sans beaucoup d’intérêt sur l’apport d’idées neuves (même Alain Finkielkraut n’a pas apporté grand chose au débat mais pas moins que les autres)… Jusqu’à ce que la parole fut donnée, en fin
d’émission, à une jeune personne, pleine de talent, dans le public.
Il s’agissait de Najoua
Arduini-Elatfani.
Son histoire est évidemment très courue par les médias : ses parents sont d’origine marocaine (père
ouvrier, mère au foyer), elle a été élevée à Mantes-la-Jolie et malgré les difficultés pour assurer sa réussite scolaire, passionnée par les mathématiques, elle a pu intégrer les classes
préparatoires au Val Fourré puis une grande école (l’École spéciale des travaux publics de Paris), diplômée en 2005. Trentenaire alerte (elle a 33 ans), elle est maintenant ingénieure,
responsable de développement d’une filiale de Vinci, notamment spécialisée en désamiantage et démolition de bâtiments.
Depuis le 13 février 2014, elle est la présidente du Club XXIe siècle, qui est une association
apolitique ayant pour mission de « valoriser cet atout formidable qu’est la diversité française en promouvant l’égalité des chances, sans artifice ni
passe-droits ». Un club qui a été créé en 2004 sur l’initiative de Hakim El Karoui, ancienne plume de Jean-Pierre Raffarin, et de Rachida Dati et qui
a été présidé par l’actuelle Ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, de 2010 à 2012.
Le 3 juin 2014, elle avait réagi assez ouvertement au fait que 30% des jeunes de moins de 35 ans qui étaient
allés voter aux élections européennes du 25 mai 2014 avaient choisi le FN : « La crise que nous vivons est le résultat d’un long et continu délitement de l’action politique en France, à gauche comme à droite. (…) Il est urgent de
proposer un projet commun autour duquel auraient envie de se mobiliser massivement tous les Français, particulièrement les jeunes et ceux issus de la diversité. La diversité est une chance pour
la France. Il faut la laisser s’exprimer car, non seulement elle peut être source de performance économique et d’innovation, mais elle est aussi garante de la cohésion sociale, dont la France a
grandement besoin. » ("Huffington Post").
Au contraire de ses voisins de l’émission télévisée, Najoua Arduini-Elatfani avait beaucoup de choses
intéressantes à exprimer, et elle les a exprimées clairement et posément. Ainsi, sa grande attention est portée contre tout communautarisme : pour elle, et l’association qu’elle préside, le
vivre ensemble est fondé avant tout sur les valeurs républicaines et tout le monde doit d’abord se sentir citoyens français.
Du coup, elle a pu pointer du doigt les manquements à ce républicanisme des élites elles-mêmes pourtant les
premières à se désoler de la progression du communautarisme en France. Rappelons aussi que c’est également l’objectif des islamistes fondamentalistes, celui de renforcer l’identité musulmane au
détriment de l’identité française et de creuser un fossé entre la "communauté musulmane" (à définir), d’une part, et le reste de population (expression qui m’évite d’utiliser des termes
inadéquats ou maladroits), d’autre part.
Najoua Arduini-Elatfani a ainsi insisté lors de l’émission : « Quand j’entends [dans les médias] "musulman de France"… Je ne suis pas "musulmane de France", mais citoyenne française. De confession musulmane, soit, mais
d’abord citoyenne française ! (…) Le poids des mots est très important ! ».
Et elle a attendu la fin de son intervention très limpide pour sévèrement blâmer le vocabulaire de son hôte,
David Pujadas. En effet, le présentateur du 20 heures avait présenté le 13 janvier 2015 la victime d’un acte d’islamophobie (il avait retrouvé une oreille de cochon dans son jardin) comme
« un musulman marié à une Française » ! C’est-à-dire, en opposant une religion à une nationalité. C’est avec ces dérives sémantiques
qu’on élargit le fossé au sein de la communauté nationale, exactement ce que souhaitent les salafistes et autres extrémistes.
Cet homme présenté comme "un musulman marié à une Française", et qui est médecin, avait de lui-même tenu à
rectifier : « Je suis Français et fier de l’être. Et malgré ce qu’il s’est passé, je reste toujours Français et je reste toujours musulman. (…)
Vive la République ! Vive la France ! ». Et David Pujadas avait dû se frotter à quelques tweets révoltés : « Dites, Pujadas,
c’est où la Musulmanie ? ».
Najoua Arduini-Elatfani n’a alors pas mâché ses mots, neuf jours plus tard, indignée : « C’est dramatique, M. Pujadas ! Ce n’est pas un musulman marié à une Française, c’est un Français musulman marié à une Française qui n’est peut-être pas
musulmane ou qui est peut-être catholique. Mais le poids des mots est très très important. Ne nous ramenez pas uniquement à [la religion] ! ».
En réponse, la bouche en dents de scie, David Pujadas a juste admis : « Dont acte. C’était une Français catholique. Merci de l’attention précise aux mots. Vous avez raison, ils comptent beaucoup. Et ce n’était pas très
heureux. ».
Il y a malheureusement fort à parier que lui-même et ses collègues de la concurrence poursuivent avec ces
dérives sémantiques, parce que c’est dans l’air du temps, parce que l’urgence les conduit à ne plus réfléchir en amont et à parler spontanément dans le flux des événements.
Nul doute que celle qui souhaite désormais réveiller la classe politique pour qu’elle écoute mieux et
représente mieux la société réelle aura un grand avenir dans le débat politique à venir. Après cette émission à grande écoute, elle a déjà fasciné de nombreux internautes (bon, attention, elle
est déjà mariée !), et elle me paraît le symbole intelligent et modernisé des valeurs républicaines de la France actuelle.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (24 janvier
2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Discours de BHL à l’ONU (22 janvier 2015).
Najat Vallaud-Belkacem.
Rachida Dati.
Le nouveau paradigme.
L’immigration en France.
L’après-Charlie.
http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/najoua-arduini-elatfani-citoyenne-162645