Don Benvenuto Gesufale, maître assassin de la guilde des Chuchoteurs, est aussi l’homme de main du Podestat Leonide Ducatore, l'homme le plus puissant de la République. Mais s'il se trouve sur la galère qui vient de remporter la bataille contre Ressine, ce n'est pas pour prendre part à la victoire: il est chargé, dans l'ombre, d'éliminer les gêneurs au sein même du clan de son maître et de passer avec l'ennemi des accords avantageux dont ses alliés ne doivent pas avoir vent. Il en revient avec le visage bien amoché en guise d'alibi, mais en héros survivant. Mais se salir les mains entre les grandes familles est plus que risqué, et dans la course au pouvoir et donc à la trahison envers Ducatore, Benvenuto est en première ligne. Il y a des traitres partout, et Leonide Ducatore n’hésitera pas à le lâcher si cela lui permet de sauver sa position, il le sait.
C’est un de mes collègues qui m’a recommandé ce qu’il considère comme un véritable chef-d’œuvre, à raison. Il y en a pour presque mille pages pour arriver au bout de cette histoire qui emprunte à la fois à la Renaissance italienne, au roman de cape et d'épée, au roman d'espionnage, à la réflexion politique et à la fantasy. C'est donc un roman extrêmement riche, extrêmement travaillé, très fouillé. Et pourtant, très cohérent. Du début à la fin, on suit soigneusement la ligne narrative qui, si elle se croise avec d'autres fils tout aussi bien construits, reste bien droite dans ses bottes: Benvenuto parviendra-t-il à sortir indemne de l'engrenage dans lequel il a mis le doigt en embarquant sur cette galère? Sur un pavé de 900 pages, c'est ingénieux: malgré la longueur, on n'est jamais vraiment perdu et c'est appréciable.
Il ne reste plus qu'à multiplier les bagarres, les course-poursuites, et on est à peu près sûr de ne jamais s'ennuyer. L’histoire nous entraine dans les palais royaux, dans les prisons, sur la mer, dans les forêts enneigés, dans les bordels, dans les cercles politiques. Et si on veut de l’action, on sera servi: on égorge, on brûle, on éventre, on casse des nez, on saute des toits, avec force détails, qui font de chaque page une scène particulièrement raffinée. Et lorsque l’on pense avoir fait le tour de la question, un retournement de situation vient relever notre intérêt. Les manigances de la fille du podestat, par exemple, qui souhaite soutirer à Benvenuto un renseignement pour rembarrer le peintre chargé de faire son portrait officiel. Les provocations des familles les plus influentes de la ville, jusque dans les tavernes miteuses, donnant à Benvenuto bien plus d’importance qu’il ne le souhaiterait. La mission du sorcier attaché à la cour, et la teneur réelle de ses pouvoirs.
Sur cette intrigue, ajoutez des personnages bien campés, souvent plus pourris les uns que les autres mais qui font forte impression, qu'il s'agisse de la petite peste de princesse, du peintre de génie, ou des sorciers aussi puissants que mystérieux, à commencer par Benvenuto lui-même, son caractère bourru, son sens de l'analyse aiguisé, son langage fleuri et sa gueule cassée au sourire d'or. Et même si, avec leurs noms à consonance italienne, j’ai eu tendance à tous les confondre, l’auteur prend soin de nous les resituer régulièrement.
L'univers créé est réellement séduisant, et il est sublimé par une maitrise langagière absolument remarquable: la langue est riche, subtile, pleine de trouvailles, d'humour et d'élégance.
J’ai particulièrement aimé la langue très particulière des assassins, un jargon très particulier et pourtant bien compréhensible.
Le seul bémol arrive peut-être sur la complexité politique qui donne lieu à de longs paragraphes explicatifs sur lesquels j'ai parfois un peu décroché, mais qui n'empêchent nullement de savourer le roman pour ce qu'il est avant tout: un grand moment d'évasion et une très belle performance.
La note de Mélu:
Une pièce maitresse de la littérature française.
Un mot sur l’auteur : Jean-Philippe Jaworski (né en 1969) est un professeur et écrivain français. Ce premier roman a reçu plusieurs prix dont le Prix Imaginales 2009.