Il ne fait aucun doute qu’Alan Turning fût l’un des intellectuels les plus doués de son époque et peut-être même le premier homme qui a eu la vision d’une machine capable de penser. Son influence sur notre époque et sur le milieu du siècle dernier est indéniable ; sans lui, la Seconde Guerre Mondiale aurait surement duré plus de six ans, et sa vision d’un ordinateur comme alternative à l’esprit humain reste l’une des plus novatrices de son époque – si ce n’est de tous les temps. Et pourtant, qui a déjà entendu parler de cet homme de l’ombre dont on dit que la mort aurait inspiré le logo du géant américain Apple ? Pas grand monde. Imitation Game est un hommage à un homme brillant dont l’histoire a été passée sous silence pendant plus de cinquante ans…
Derrière la caméra : Morten Tydlum, figure peu connue du cinéma et dont c’est le quatrième long-métrage. Si ce n’est le nom du réalisateur norvégien, ce sera surement le casting alléchant d’Imitation Game qui vous attirera dans les salles de cinéma en cette fin janvier. Non seulement sont réunis à l’écran Benedict Cumberbatch (Alan Turning), Keira Knightley (Joan Clark), Matthew Goode (Hugh Alexander), Mark Strong (Stewart Menzies) et Charles Dance (Commandant Denniston) mais l’intrigue a tout pour plaire. Imitation Game narre l’histoire méconnue du mathématicien Alan Turning en alternant entre plusieurs périodes de la vie de celui-ci.
L’histoire commence à Manchester en 1951, alors que Turning, qui vient tout juste de se faire cambrioler, semble vouloir éviter de se mêler à une investigation policière. On alterne ensuite entre 1939 où Turning vient d’être engagé aux GCHQ par le Commandant Denniston dans le but de craquer les codes de la machine Enigma et 1928 où il brille en tant qu’élève bien qu’il mène une enfance difficile et quasi-solitaire.
Chaque période sert de point de départ aux intrigues qui se développeront pendant le film. Durant la guerre, fils narratif principal, Turning et son équipe se lancent dans le craquage des codes de la machine Enigma, qui servent aux Allemands à envoyer des messages stratégiques. Seulement, Enigma se trouve être le « puzzle le plus compliqué au monde » offrant plus d’un million de combinaisons possibles pour décoder un simple message.
Turning se lance dans la réalisation d’une machine capable de déchiffrer n’importe quel code instantanément. Alors que celle-ci sous-tend l’idée d’intelligence artificielle, la narration est à l’image de la tâche qui vient d’être incombée à l’équipe de mathématiciens : un puzzle. Des indices sont disséminés un peu partout et nous servirons de clef pour comprendre la relation qu’entretien Turning avec le monde et la machine qu’il baptisera « Christopher ».
L’homosexualité de Turning sera plus tard révélée, après qu’il ait été accusé à tort de fournir des informations aux Soviétiques. Bien que la trame soit en majeure partie fidèle aux faits historiques, Imitation Game a quant à lui été accusé de la falsification de certains détails, notamment d’avoir inventé certains personnages. C’est le cas du de celui interprété par Keira Knightley. Certes, la performance de cette dernière reste un peu décevante, et on aurait eu raison de mettre en question son rôle si son personnage ne servait pas à « décoder » le comportement du génie Turning, à l’image de sa machine.
Techniquement, le film est plutôt sobre ; il est maîtrisé et c’est tout ce qui compte. Sa puissance réside dans la performance de Benedict Chumberbatch. On aurait aimé voir les personnages qui l’entourent délivrer une meilleure performance, surtout lorsqu’il s’agit de Matthew Goode, Keira Knightley ou Mark Strong. Cependant, Chumberbatch se glisse à merveille dans la peau du génie au comportement autistique. Bien qu’insondable et émotionnellement paumé, il n’en reste pas moins attendrissant, drôle et parfois même cruel. La complexité du personnage réside dans le déséquilibre entre les aspects intellectuels et relationnels de sa personnalité. Les prouesses dont il est capable intellectuellement n’ont d’égales que ses lacunes relationnelles et ses obsessions névrotiques.
L’imitation dont il est question dans le titre se réfère à l’intelligence artificielle. En particulier, comment à partir d’un idéal humain, Alan Turning va créer un automate capable de penser. Un parallèle est d’ailleurs évoqué alors que son seul ami lui présente un livre de code :
C’est un peu comme lorsque les gens parlent, ils ne disent pas ce qu’ils pensent vraiment. »
Il est difficile d’attribuer un genre à Imitation Game : biopic, film historique, thriller, comédie, drame… tous ces genres se mixent pour former un mélange homogène. Le film est surtout une tentative de réhabilitation à la mémoire de Turning – qui fût condamné en 1951 pour « indécence manifeste et perversion sexuelle ». Certes, l’histoire a été légèrement modifiée et parfois inventée – notamment à travers la relation d’amour platonique entre Cumberbatch et Knightley, Imitation Game n’en reste pas moins un bel hommage à un homme injustement condamné qui n’a pas pu échapper à l’étroitesse d’esprit de ses semblables.
Au final Imitation Game est un bon film. Pour ma part, j’aurais aimé apprécier ce film un peu plus, comme on aime un chef-d’œuvre. Malheureusement, je n’ai pas su déchiffrer tous les codes dans ce jeu de l’imitation et j’en ai été un peu déçu, même s’il vaut la peine d’être vu.