Pourquoi « Je ne suis pas Charlie »? Vaste sujet qui alimentera nécessairement la polémique tant la passion a pris le pas sur la raison lors des événements des derniers jours. Comme chacun, j’ai choisi mon camp, quitte à aller à l’encontre du mouvement de charlisation de la société. Explications.
Phase 1 : le jour où je découvre que je ne pense pas comme tout le monde
Je vais probablement vous troubler, voire vous choquer, mais j’ai réalisé lors des attentats à Charlie Hebdo que je devais être « câblé » différemment des autres, de vous probablement. Si ces meurtres m’ont évidemment choqué, mon ressenti s’est arrêté là et je n’ai pas bien compris la réaction de la plupart de mes collègues. Oui, c’est horrible, ça ne fait aucun doute. Oui, ça s’est passé à quelques stations de métro de mon boulot. Oui, des terroristes peuvent s’en prendre à la France.
Oui à tout ça mais je dois malgré tout avouer que l’intensité des réactions m’a surpris. Et curieusement, plutôt que de me joindre à la foule des endeuillés, j’ai ressenti un sentiment de gêne que j’avais bien du mal à expliquer mais qui s’est éclairci à mesure que le temps passait.
J’étais gêné par le fait qu’au même moment, au Yémen, un attentat faisait plus de 30 morts et 60 blessés. Et que tout le monde s’en foutait. Gêné par le fait que 6500 personnes étaient tuées en 2013 dans des attentats en Irak sans que ça n’émeuve personne. Gêné par le fait que quelques jours avant ce 7 janvier noir, des talibans s’étaient livrés au plus abject des crimes, l’extermination de plus de 130 enfants dans une école au Pakistan. Et que là encore, tout le monde s’en foutait.
Tout ça me gênait profondément. Sans vouloir faire dans le bon sentiment, doit-on en déduire que dans ce monde une vie n’est pas égale à une autre, à plus forte raison si l’autre est une personne connue? Pure question rhétorique, vous comme moi avons la malheureuse réponse à cette triste question…
Quand j’ai vaguement commencé à faire part de ce sentiment autour de moi, on m’a gentiment fait comprendre que j’étais à côté de la plaque. Pourquoi? Tout simplement parce que là c’était bien plus grave: il s’agissait d’une inadmissible atteinte à la liberté d’expression. Aaaaaah, la liberté d’expression…
Si j’étais provoc, un brin cynique, je dirais que cette « atteinte à la liberté d’expression » est rapidement devenue l’argument tout trouvé des personnes en mal d’imagination. Est-ce vraiment bien de cela dont il s’agit?
Sérieux, vous imaginez ces gars au QI de moule en train de siroter un thé vert de chez Mariage Frères, l’un d’eux disant: « Ecoutez chers amis, je viens de terminer la lecture du Traité sur la tolérance du Sieur Voltaire. Tout ceci n’est qu’inepties. Il conviendrait, si vous en étiez d’accord, de mettre en évidence nos divergences de vue avec cet homme. Pour ce faire, je propose d’assaillir le Siège de l’un de ces journaux hérétiques dont les propos ne sont que blasphème et de mâter sans pitié aucune les scribes présents. Tenez, pourquoi pas ces jean-foutres de Charlie Hebdo? De la sorte, nous mettrons à mal la sacro-sainte Liberté d’expression. Nous aurons gagné, Voltaire aura perdu ».
Franchement, je pense que c’était plutôt du genre: « allons buter ces fils de p*** de Charlie Hebdo, ils vont payer pour avoir caricaturé le prophète ! Yallah ! ».
Au passage, je m’étonne que personne n’ait jamais parlé d’horrible atteinte à la liberté de culte après les meurtres de l’Hyper Casher. Car là, aucun doute possible, ces personnes étaient visées parce qu’elles étaient juives. Rien d’autre.
Allez, j’arrête de jouer sur les mots et, peut-être, avec vos nerfs. Malgré ce qui précède, dire que la liberté d’expression a été meurtrie, je l’entends tout à fait. Au fond, ce ne sont pas toutes ces discussions autour de cette valeur fondamentale de la République qui m’ont gêné. Ce qui m’a le plus agacé dans tout ça, c’est le fait que Charlie ait tant focalisé l’attention, tout particulièrement durant les grandes marches organisées les jours qui ont suivi.
Phase 2: le jour où je ne suis pas devenu Charlie
Car oui, des millions de personnes sont descendues dans la rue comme un seul homme, dans un mouvement humaniste et pacifiste d’une ampleur probablement inégalée dans l’Histoire. Je n’avais pas pu me rendre à République le 11 janvier mais, dès que j’ai pu, j’ai branché les infos. Ce que j’ai vu m’a profondément bouleversé. Je suis d’une nature plutôt optimiste et je crois que l’Homme peut être Bon. Mais je ne pensais pas voir une telle chose de mon vivant. J’étais tout bonnement subjugué, ébloui, émerveillé, au bord des larmes face à ce merveilleux rassemblement.
Seule ombre au tableau, vous l’aurez compris, tous ces « Je suis Charlie ». Certes, sans le drame de Charlie, déclencheur bien malgré lui de ce qui se passait sous mes yeux, ces marches pacifistes n’auraient pas eu lieu. Oui mais voilà, ce slogan aux significations multiples était à mon sens trop équivoque pour délivrer LE message limpide qui aurait entrainé cette onde de choc pacifiste qui aurait pu changer notre monde. J’y crois vraiment. Une croyance juive dit que si tous les juifs priaient ensemble pour la Paix, celle-ci submergerait immédiatement le monde. Nous avons raté une belle occasion de découvrir si cette croyance pouvait se réaliser toutes religions mélangées, unies dans un même élan…
Un message de Paix, d’Amour, de Fraternité simple et clair aurait pu changer les choses. Je le pense sincèrement.
Bien au contraire, cette mobilisation sans précédent, nimbé de ce malheureux slogan a comme légitimé l’action de Charlie Hebdo. Au point de leur faire mettre en Une de leur numéro historique la semaine suivant les attentats une nouvelle caricature de Mahomet. J’ai trouvé ça stupide. Évidemment. Mais après tout, ils avaient tous les droits de le faire non? C’est vrai, la liberté d’expression…
Pour autant, est-ce qu’au nom de la liberté d’expression on doit se conduire comme des irresponsables? Quoi qu’ils en disent, ils imaginaient bien que le monde arabo-musulman s’enflammerait à la publication de cette nouvelle caricature.
N’y avait-il pas moyen de se foutre des djihadistes sans en revenir au Prophète? On aurait pu imaginer les 3 gars qui arrivaient en enfer et qui demandaient à un démon à la queue pointue – je vous laisse deviner laquelle… – « alors, elles sont où les vierges? ». Le petit diable leur aurait répondu, tout excité : « bah les gars, on vous attendait… ». Hein, ç’aurait pas été drôle ça?
En poussant un peu plus loin, je trouve que les membres du staff de Charlie, en publiant cette nouvelle Une polémique, ont en quelque sorte trahi les millions de personnes qui s’étaient mobilisées pour la paix quelques jours avant. Vraiment.
Finalement, je ne suis pas Charlie pour de nombreuses raisons. Je ne suis pas Charlie car c’est oublier un peu vite que des policiers ont été assassinés en protégeant des citoyens et que des personnes comme vous et moi sont mortes de s’être trouvées au mauvais endroit au mauvais moment. Je ne suis pas Charlie car je trouve qu’au fond ce slogan divise plutôt qu’il ne rassemble. Je ne suis pas Charlie car j’ai peur d’un monde qui, sous prétexte de préserver notre liberté d’expression, nous contraindrait plus qu’il ne nous protègerait. Je ne suis pas Charlie car je ne peux cautionner la violence, qu’elle soit terroriste, physique, verbale ou dessinée. Et je ne suis vraiment pas Charlie car ce stupide slogan a gâché une merveilleuse occasion pour les Hommes de se rapprocher dans un même élan de Paix et de Fraternité. Espérons juste qu’une nouvelle occasion se présentera et que nous saurons, cette fois, la saisir…