C’est un livre de commande passée par le musée des Confluences à Lyon, lequel abrite plus de deux millions d’objets les plus variables possibles, constituant un immense cabinet de curiosités du XXIe siècle. Il est demandé à un écrivain de s’approprier littérairement un de ceux-là, d’en faire matière à un écrit. Valérie Rouzeau a choisi l’un des fragments retrouvés de la météorite Allende, qui explosa, le 8 février 1969, au-dessus du village mexicain qui donna son nom à ladite météorite ; météorite d’un type rare : une chondrite carbonée. Un objet à tel nom, on imagine facilement Valérie Rouzeau vouloir s’emparer et du nom et de l’histoire de ce fragment et voir en quoi les deux résonnent en elle, car c’est un peu et aussi « un précieux témoin des débuts de notre système solaire », dont elle avait pris en charge de faire battre le cœur de son histoire inconnue. « Des lustres et des lustres pour tant d’obscurité », quoi n’empêche la poète de s’attaquer à l’immense et à l’infini que symbolise pareil objet. Mais chez Valérie Rouzeau, c’est merveille, sujet à se donner merveille, qui est un principe d’écriture chez elle (« je pense merveilleusement », écrit-elle dans un poème de Va où). Sempiternelle éblouie, tantôt mélancolique toutefois, Valérie Rouzeau fait valser les mots sur rythme de ritournelle et de nursery rhyme, et ne s’embarrasse de fioritures pour se faire télescoper en concentration incroyable des références passantes, par exemple E.T., l’ « Atmosphère » d’Arletty sur fond de Gainsbourg (« Initials B.B. »), ainsi que la « terre bleue comme une orange d’Eluard » et les zézaiements de Raymond Queneau : « L’Espace-Temps initiales E.T./Petit homme vert de planète rouge/Atmosphère atmosphère z’avez/Dit atmosphère ou j’ai rêvé ? ».
Le télescopage, Valérie Rouzeau, outre autres les façons industrieuses héritées du métier de récupérateur paternel (la casse, le broyage, le compactage, la récupération...), en fait une poétique qui sied tout à fait à son dessein, une « Scientifique poétique cosmique », avec humour subtil et malicieux, qu’on trouve dans l’homéotéleute, « hic » par exemple. « Une pierre/Pas un simple caillou/Une averse de pierre/Pas une pluie ordinaire/Tombe du ciel en sifflant », et c’est éblouissement, éblouissement empathique du paysan mexicain qui « témoigne ébloui : oui oui », ainsi, la météorite tombée et vue par le paysan fait écho approbateur chez Valérie Rouzeau « oui oui oui ». Ce petit livre, on le perçoit au rythme allègre et joyeux qui le mène, est porté par « Le grand vent d’avant les légendes », par la joie des mystères inexpliqués, auxquels achoppent les scientifiques, pour le plus grand plaisir poétique de la poète, qui peut filer métaphore pareille à l’étoile filante. Quelle métaphore file ici-même ? Si ce n’est celle de la nécessité joyeuse d’écrire, celle d’aller grand erre dans l’écriture poétique en effectuant des rapprochements singuliers comme en une féérie, une météorite tombant pareille à la feuille morte guidée par un dieu ici évoqué en « mécanicien céleste » :
« Quand le mécanicien céleste a rêvé fort
À la gravité des astres
La gravité des choses du monde
Lesquelles tombent sous toutes sortes de formes
Larmes feuilles mortes piles d’assiettes
Patineurs artistiques tartines
Côté confiture margarine
Châteaux forts et vestes à carreaux
Et l’automne un 22 septembre
Est-ce qu’un bolide vient s’ajouter
Extraterrestre distingué
Bout de grumeau de nébuleuse
Ou morceau de planète cassée
Façon drôle de pièces détachées ? »
Du plus cosmique au plus terrestre, la poète, en ces poèmes sans gravité philosophique mais pensivement aériens, manie le poème à la manière de la fulgurance des haïkistes, rapprochant microcosme et macrocosme en un éclair, en reliant l’univers « chiffonné » et la « chiffonnière » en ses « verbes un peu télescopés » ; elle télescope à l’envi les images et les idées (« Mais je rêve, là, et caresse l’idée/D’un bolide bousillant la laideur/Et seulement la laideur par exemple »), s’insurge dans son « Bazar de pensée chamboulée », télescopée qu’elle se sent contre les mochetés humaines. En ces poèmes, Valérie Rouzeau revient aux ères primitives, à l’« Homo habilis », à l’« Homo fabuleux », au sapiens, à son béguin pour le fils de Crâo ; de l’origine terrestre et des hommes à l’origine de son écriture, c’est un grand écart alertement opéré par la poète. Quelque chose ici dit : la vie, va.
[Jean-Pascal Dubost]
Valérie Rouzeau , Télesco-pages, éditions Invenit, 64 p., 9 €