Ils font la Social TV – Episode 5 : Pierre-Jean Burrion
Pour ce nouvel épisode, nous avons rencontré Pierre-Jean Burrion, le Directeur de la stratégie numérique de Télé Mons-Borinage (Télé MB), l’une des douze télévisions locales de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il nous explique son parcours, ses missions et l’importance de se développer dans l’univers numérique pour les acteurs locaux à l’heure actuelle.
SocialTV.fr : Quelle est votre formation initiale ?
Pierre-Jean Burrion : J’ai un master en communication et journalisme à l’Université Libre de Bruxelles, avec une orientation vers le secteur de l’animation. C’est d’ailleurs dans ce secteur que j’ai débuté ma carrière professionnelle, puisque j’ai travaillé dans le milieu psychiatrique en tant qu’animateur vidéo. J’ai ensuite réorienté ma carrière vers le journalisme et je me suis rapidement dirigé vers l’information locale. J’ai fini par trouver ma place à Télé MB, où je suis entré officiellement en poste en 1994. Au sein de cette chaîne, j’ai poursuivi mon évolution en interne car j’ai commencé en tant que journaliste pour devenir secrétaire de rédaction et, après, rédacteur en chef pendant trois ans.
Par la suite, j’ai pris une nouvelle voie en me lançant dans la communication politique. A cette époque, j’étais responsable en communication pour un ministre à la Région Wallonne, puis pour un secrétaire d’Etat au Fédéral. Lorsque j’ai estimé avoir fait le tour, je suis revenu au sein de Télé MB, dans le cadre du 25ième anniversaire de la chaîne. J’ai été chargé d’orchestrer une partie des évènements liés à cet anniversaire. J’ai, à ce moment, eu un déclic car la thématique était celle de l’avenir des contenus locaux confrontés à la révolution numérique. J’ai enclenché toute une série d’activités autour de cette réflexion, qui m’ont amené à prendre le poste de Directeur des projets et développements, avant de devenir le Directeur de la stratégie numérique. Dans ce cadre, j’ai mis en place une émission basée sur la Social TV : 2015 Histoires…
Quelles sont les missions qui sont rattachées à votre poste?
Je suis passé du poste de Directeur des projets et développements au poste de Directeur de la stratégie numérique. C’est un passage assez cohérent car tous les projets de développement d’une chaîne doivent désormais intégrer la dimension numérique. Ce poste est d’ailleurs un poste stratégique et c’est une chance pour moi car je pense être le seul au sein des télévisions locales à l’occuper à temps plein. Cela me permet de ne pas être le nez dans le guidon, contrairement à la plupart de mes collègues, et d’avoir le recul nécessaire pour initier toute une série d’expériences numériques.
En ce qui concerne mes missions, pour simplifier, elles peuvent être réparties en trois secteurs. En premier lieu, je m’occupe de tout ce qui concerne l’accessibilité au contenu. On entre dans la notion d’offre ATAWAD. Il s’agit de simplifier et de valoriser l’accès aux contenus locaux… Les rendre disponibles et cohérents dans différents espaces, qu’il s’agisse des sites, des réseaux sociaux, des blogs ou tout simplement de l’antenne. Pour résumer, je veille à ce que la production multi-canale soit assurée, afin que des contenus pour l’antenne, mais aussi pour Internet et pour les supports mobiles soient présents. Cette accessibilité aux contenus s’est concrétisée par le développement d’un nouveau site, avec une nouvelle architecture, mais aussi par tout ce qui concerne le développement sur les réseaux sociaux.
Deuxièmement, à ce niveau, le point d’orgue est l’aspect conversationnel. C’est-à-dire qu’il faut partir de l’idée que le journalisme est passé de l’information à la conversation et s’y adapter.
Enfin, le troisième aspect est lié aux deux précédents. Il consiste à avoir une réflexion et une vision prospective afin de proposer aux spectateurs des expériences nouvelles. Celles-ci touchent à la mobilité et aux applications, mais aussi à des expériences à l’antenne. C’est dans ce cadre que nous avons initié l’émission 2015 Histoires, qui est considérée comme un laboratoire de nouvelles pratiques, avec des objectifs précis qui sont : un, le rajeunissement et la participation des publics ; deux, l’intégration de cet espace local à un évènement de dimension européenne. Il s’agit de ma mission actuelle.
2015 Histoires est en quelque sorte une expérience de Social TV? Pouvez-vous nous en parler ?
Exactement ! Pour parler de ce projet, 2015 Histoires est une émission hebdomadaire de 26 minutes dont l’objectif est de raconter les histoires des acteurs de Mons 2015 Capitale Européenne de la Culture… Ces acteurs étant à la fois le public, mais aussi ceux qui participent ou qui jouent un rôle dans la dynamique créée par l’évènement. Cette émission de télé n’est pas la finalité, elle n’est qu’un passage. Elle est intégrée dans un espace conversationnel et de contenus, que l’on retrouve dans différents lieux : le site de Télé MB, une plateforme interactive et les réseaux sociaux.
En dehors de l’émission, avant et après, il y a toute une vie qui intègre cette participation que l’on offre à travers l’émission, c’est-à-dire des contenus alternatifs, à savoir les informations que les gens peuvent donner en réagissant, en nous envoyant des photos ou des vidéos… Ils créent une dynamique autour de la thématique et nous en formons le réceptacle. Nous le faisons vivre à travers l’antenne, mais aussi d’autres espaces… C’est en cela que nous travaillons sur un concept de social TV.
Nous travaillons notamment sur Twitter. Nous avons, pour l’émission, un présentateur, accompagné d’un community manager qui est à l’antenne pour résumer ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Il sélectionne certains éléments, qu’il présente. Nous avons également un tweetwall qui permet à tout un chacun de nous envoyer des messages durant l’émission. Un second community manager reste hors de l’émission et nourrit les réseaux des contenus second screen récoltés, avant, pendant et après l’émission.
Avez-vous d’autres concepts de ce type en préparation ?
L’idée, c’est de faire profiter les émissions futures de cette expérimentation. Ce n’est pas de dire « on travaille la Social TV et on laisse le reste sous sa forme traditionnelle ». Toutes les émissions doivent venir se nourrir, en fonction de leurs besoins, de cette expérimentation. Les émissions les plus réactives pour l’instant sont les informations et les sports, que nous tentons de faire bénéficier des bonnes pratiques. Lorsque nous recevons un invité, le public a désormais l’habitude que nous préparions l’émission en le prévenant et en lui demandant de nous proposer des questions et des réflexions.
En sport, nous voyons que, pendant l’émission, les internautes réagissent et interviennent souvent sur le contenu, que ce soit sous la forme d’une information qu’ils ont quant à un résultat sportif, d’une image anecdotique, voire d’une information en ce qui concerne un club. Nous ne sommes pas encore arrivés à la co-création, mais, en tout cas, nous essayons déjà de faire intervenir le public sur un contenu que nous diffusons, avec une réelle mise en valeur… C’est en cela que nous commençons à proposer des expériences interactives et co-créatives.
Comment votre poste a-t-il évolué ces dernières années ?
Par définition, c’est l’environnement numérique qui a créé la fonction… L’environnement numérique est tel qu’il serait naïf de l’ignorer. Nous devons prendre notre place dedans. C’est une fonction qui a de plus en plus une dimension transversale… Je peux avoir un regard sur ce qui se fait à l’extérieur, un regard sur l’interne et l’enjeu de ma mission est de trouver comment donner à chaque projet et émission une dimension numérique, avec tout ce que cela comprend en termes de diffusion, d’interaction et de participation citoyenne. L’avenir est là : intégrer tout ce qui tourne autour du numérique en matière de consommation, production et diffusion dans notre travail.
Au niveau de cet enjeu numérique, est-ce un atout d’être une télévision locale?
C’est tout le paradoxe… Il faut donner de la place et la visibilité à des contenus locaux dans un espace qui est devenu sans frontières… C’est vraiment le défi à relever. Avant, c’était très simple, notre travail était diffusé sur le câble et était restreint à une communauté géographique. Maintenant, tout a explosé et ça a provoqué un bouleversement du fait de la nécessité à se positionner dans ce nouvel univers. C’est un enjeu de taille et actuel. Même si je suis persuadé que l’information locale y a sa place car elle jouit d’un rapport de proximité avec son public, ce qui est une facilité. Cependant, la difficulté est d’instaurer notre nouvel espace dans cet univers sans frontières.
C’est là que j’interviens, mais, au-delà de ces grandes tendances, j’ai voulu que ce soit vraiment une mise en valeur de ce que nous faisons, notre nouveau site, nos nouveaux programmes… Faire de la visibilité. Quand nous avons créé un espace conversationnel, nous avons constaté que cela répondait aux envies des spectateurs car nous avons directement observé des réactions. Quand nous avons créé ce laboratoire avec l’émission 2015 Histoires, nous avons vu que nous pouvions tester certaines expériences. Tout cela est soumis à certaines discussions, à controverse et à un tas de difficultés, mais nous avançons… Mon rôle est de proposer des choses, de les tester et de garder ce qui fonctionne.A ce niveau, mon poste a également évolué. Mon rôle est de décloisonner les secteurs. C’est une grande difficulté… Avant, chacun était cloisonné alors que, maintenant, il y a vraiment une politique de diversification des tâches. Nous avons parlé tout un temps de la rédaction du futur, qui allie des métiers extérieurs, mais connexes au journalisme… Elle allie des infographistes, des community managers et encore bien d’autres métiers. Cette rédaction du futur devrait en fait être celle d’aujourd’hui.
Aussi, au sein du poste, il y a un important travail de réflexion et d’innovation. Proposer aux téléspectateurs de nouvelles expériences est un travail créatif et innovant où je suis confronté à toute une série de difficultés. D’autant plus avec 2015 Histoires, qui innove et qui tâtonne… Notre chance, dans les télévisions locales, c’est qu’on nous permet de le faire, nous ne sommes pas liés à un couperet qui tombe si nous faisons une erreur. Nous avons la liberté d’entreprendre et d’essayer d’innover.
Comment voyez-vous évoluer votre poste dans les prochaines années ?
La question est de quelle manière faire évoluer, comment l’adapter aux réalités. Rechercher comment adapter Télé MB au traitement, à la diffusion, au partage et à l’intégration des contenus locaux dans cet univers sans frontières. Nous sommes dans un paradoxe pour positionner nos contenus locaux dans cet univers global. Mon poste évoluera dans cette direction, parce que je suis persuadé que les contenus locaux y ont un rôle à jouer. Le producteur de contenu local doit s’interroger sur la manière de créer du contenu, de le positionner et de le rendre conversationnel dans un espace qui est tout sauf local. Rajoutez à cela tout le contexte du secteur public, dont les difficultés financières et un financement en stagnation…
Nous devons faire avec nos obligations et missions, mais aussi nous ouvrir au fait que le contenu local est le contenu conversationnel par excellence parce qu’il a son public plus restreint, mais à proximité… D’ailleurs, lorsque l’on regarde les médias nationaux belges, ils nous observent… Ils essaient de remettre en place un rapport beaucoup plus direct avec leur public et, de ce fait, viennent sur le terrain des télévisions locales dans leur manière de storyteller.
Pour conclure, selon vous, comment va évoluer l’imbrication télévision locale et social TV dans les prochaines années ?
Nous devons nourrir ce rapport de proximité, nous utiliserons toutes les armes ou, du moins, utiliserons tous les outils que propose la Social TV. Faire de la Social TV, ce n’est pas faire un concours de chant et demander aux gens de réagir afin que nous publions sur antenne les réactions directement, qu’il s’agisse de votes ou de tweets. C’est bien de la Social TV mais je pense que, de notre côté, nous ne la voyons pas comme cela. Nous la voyons davantage dans le renforcement des missions de la télévision locale. Celles d’information, d’éducation permanente, de lien social et de témoin des dynamiques locales. C’est dans le soutien de ces missions que les outils de la Social TV doivent intervenir. C’est assez compliqué, car cela renforce une position, mais pas un concept. Quand on fait « The Voice », il s’agit plus d’un concept qui utilise des outils pour enrichir l’émission et augmenter son public. Nous, notre but premier, est de développer la co-création de contenus, d’intégrer notre communauté dans l’émission que nous proposons. C’est ce que nous avons toujours fait, et essayons encore de faire actuellement avec de nouveaux outils. Ce n’est pas se dire que nous n’avons jamais réfléchi à tel concept, c’est se dire que maintenant, avec les nouveaux outils, nous pouvons être plus performants.
Au niveau management, ce n’est pas toujours évident car il faut faire évoluer l’ensemble sans provoquer des ruptures… Il faut décloisonner, on parle actuellement de multitasking… Tout cela doit s’intégrer dans les réalités de terrain. L’enjeu est d’avancer sans pour autant brusquer le personnel de la télévision. C’est quelque chose d’extrêmement délicat, mais il n’y a pas d’autres voies. Il y a des questions fortes qui se posent derrière tout cela. C’est un long débat. Par exemple, nous utilisons Facebook parce que tout le monde l’utilise, mais je suis certain que nous pourrions créer des outils locaux et en utiliser pour établir des relations de proximité. C’est ce que nous faisons avec notre plateforme de 2015 Histoires.
Un grand merci à Pierre-Jean Burrion d’avoir répondu à nos questions.
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