La couverture est verte. C’est la couleur de l’Islam. Le vert, en Islam, est le signe de la promesse du paradis. Dans la vision que le Coran propose du paradis, c’est la couleur dominante. Le besoin de posséder une kalachnikov ne se fait pas sentir au paradis. Un dessin occupe toute la surface avec la mention « Tout est pardonné ». Le personnage dessiné évoque un religieux. Il porte un cartouche déroulé sur lequel est inscrit « Je suis Charlie ».
Une semaine après le massacre du 7 janvier, les journalistes et dessinateurs qui restent annoncent que Charlie Hebdo va continuer. Après les événements qui endeuillèrent le pays, le n°1178 de Charlie Hebdo s’impose comme l’emblème de celles et de ceux qui refusent la violence terroriste, le fanatisme des clercs et défendent la liberté de la presse. Celle-ci est le socle de la liberté de penser. Cette liberté fondamentale s’exerce par la liberté d’expression et la liberté de conscience. Ensemble, ces deux libertés s’expriment dans le cadre d’un état démocratique et laïque, c'est-à-dire ne subissant pas l’influence des religions. L’indifférence de l’Etat à l’influence religieuse n’a pas toujours été de mise. Lorsque l’Eglise tente, avec succès, de redevenir la religion officielle en 1814, elle prend possession de l’enseignement, joue un rôle politique et exerce un contrôle sur la société toute entière en cherchant notamment à dominer les consciences et les corps. Ainsi, elle réussit à imposer une loi qui interdit le divorce autorisé en 1791. Charlie Hebdo s’est toujours positionné avec énergie vis-à-vis de la Laïcité, « pas la laïcité positive, pas la laïcité inclusive, pas la laïcité je-ne-sais-quoi, la laïcité point final. Elle seule permet, parce qu’elle prône l’universalisme des droits, l’exercice de l’égalité, de la liberté, de la fraternité et de la sororité. Elle seule permet la liberté de conscience, liberté que nient, plus ou moins ouvertement selon leur positionnement marketing, toutes les religions dès lors qu’elles quittent le terrain de la stricte intimité pour descendre sur le terrain politique. Elle seule permet, ironiquement, aux croyants et aux autres, de vivre en paix », écrit Gérard Briard dans L’APERO du n°1178. En langage « Charlie », APERO veut dire Edito, tout à fait logiquement, puisque c’est le premier article que l’on découvre en ouvrant le journal. Discuter et commenter un EDITO peut être une occasion de partager un apéro.
Ce numéro 1178 s’impose comme un document à conserver dans les familles pour illustrer par l’exemple la défense de la Laïcité dès lors que les discussions bien-pensantes surgissent à l’occasion de banquets ritualisés aux discussions enflammées. Le feuilleter, c’est voir combien cette publication qui n’est pas constituée uniquement de dessins comme ont pu le croire ceux qui ne l’avaient jamais eu en main. Charlie Hebdo est un journal, un vrai journal d’opinion portant de vraies opinions. Il s’inscrit dans la tradition de la satire libertaire de L’assiette au beurre, dérives en moins. Même si aujourd’hui la tendance est à la défiance vis-à-vis du gras, Charlie Hebdo ne cultive pas le light pour autant. Dessinateurs et rédacteurs n’écrivent la langue du bois qu’on fait les mous du genou, les raisonnables, ou les petits marquis qui pensent être l’opinion dès lors qu’ils ont pignon sur rue. Dans ses colonnes, dans les vignettes produites par de fins observateurs des évolutions sociales, Charlie Hebdo a mis en forme et rendu visible une langue et un langage graphique dont la texture et le trait portent des marques de distance et de critique sans fard. Aucun texte n’emprunte une rhétorique obligée qui mettrait l’effet avant le message. A la rédaction de Charlie, on a assurément feuilleté L. F. Céline pour que chaque papier ne soit pas un voyage au bout de l’ennui. Une société démocratique a besoin de ces écriveurs de l’extrême, de ces graficoteurs qui sont à l’aise dans le hors-piste. Les sornettes d’alarme qu’ils agitent sans vergogne permettent d’être plusieurs fois mort de rire par numéro. C’est le propre des artistes que de réussir leur coup à chaque numéro. Rire permet de mourir en bonne santé, disent les praticiens du yoga du rire. Il constitue l’expression première de la démocratie.