"Mon traître", le troisième roman de Sorj Chalandon, est avant tout une histoire d'amitié. Une grande et belle histoire d'amitié et de trahison ancrée dans l'Histoire mouvementée de l'Irlande du Nord. Une région que le lecteur découvre à travers le regard d'Antoine, luthier français débarquant en 1975 à Dublin pour fêter ses 30 ans. Son Irlande à lui était "musicale, marine, agricole, accueillante, spirituelle, pauvre et fière, apaisée"...
"Vous ne connaissez pas le Nord ? Alors, vous ne connaissez pas l'Irlande", lui avait lancé, dans son atelier, un violoneux de Plouarzel. Ressassant cette boutade sur un quai de Dublin, Antoine décide de prendre un train pour Belfast où se dévoile d'emblée une tout autre Irlande. C'est lors de ce premier voyage qu'il fait, inopinément, la rencontre de Jim et Cathy O'Leary, dont le fils a été tué par la balle plastique de soldats britanniques. Dans un pub, c'est face à un urinoir qu'il découvre aussi Tyrone Meehan, nationaliste de l'IRA et personnage central du livre. Tyrone Meehan a passé quelques années à Long Kesh, la maison d'arrêt des prisonniers politiques. Il a côtoyé Bobby Sands, gréviste de la faim mort en 1981. A travers Meehan, nous pénétrons le milieu nationaliste à son apogée et l'accompagnons jusqu'aux premiers embryons du processus de paix.
L'ambiance de Belfast
Ce roman qui décrit avec une formidable acuité les événements d'Irlande du Nord, a su capturer l'ambiance de Belfast, un peu à la manière d'un Hugo Pratt dans Les Celtiques. Les maisons étroites, les barbelés, les tourelles, les blindés. Le Belfast des années 70 n'est pas à proprement parler un lieu facile à vivre. Mais le petit luthier, avec un brin de naïveté parfois, s'éprend de cette terre et de ceux qui l'habitent. Et il y reviendra souvent, très souvent. Au-delà du contexte historique, c'est évidemment l'amitié trahie qui se trouve au centre du roman et lui donne son caractère universel. Les tentatives d'Antoine pour essayer de comprendre la trahison de Meehan sont à ce titre, particulièrement touchantes. L'écriture limpide de Sorj Chalandon fait le reste !