Le voyage d'Octavio, premier roman d'un auteur de 28 ans
Plume passerelle entre la France et le Venezuela
Son parcours, ses langues, ses pays et sa Littérature
Né en 1986 à Paris, Miguel Bonnefoy est un jeune auteur Franco-vénézuélien, dont le premier roman, un superbe conte surnaturel intitulé "Le voyage d'Octavio", vient d'être publié chez Rivages.
Ayant vécu une grande partie de son temps à Caracas, où ses parents, le romancier chilien Michel Bonnefoy et sa mère, une diplomate vénézuélienne, vivent encore, Miguel, après une brève escale à Lisbonne, est revenu à Paris l'année de son BAC, pour y poursuivre des études résolument littéraires.
Passé à Paris 3 où il a obtenu une maîtrise, il a présenté un mémoire sur Aragon et l'engagement politique en littérature, et surtout, s'est signalé pour sa première participation à un concours d'écriture, en plaçant son texte second du Prix de la Nouvelle de la Sorbonne-Nouvelle.
Dès lors, porté par cette révélation secrètement attendue, Miguel Bonnefoy mit les bouchées doubles, créant sans cesse de nouveaux textes courts basés pour l'essentiel sur des réécritures de mythes, et il trouva dans l'exercice que sont les concours à thème, une grande source de motivation et, paradoxalement, un bel espace de liberté.
Bien entendu - vie parisienne oblige - en plus des concours qu'il remporta quasiment tous, et d'une nouvelle parue en Italie dans des conditions ubuesques dont l'Histoire se régale (pris pour le fils du grand intellectuel Yves Bonnefoy), le jeune Miguel ne coupa pas aux règles de la vie étudiante, partageant son emploi du temps entre la fac et des activités aussi stimulantes que : la plonge, les chantiers, et le métier de bouquiniste qu'il assura quai des Augustins. En 2010, lassé par la grisaille parisienne et le désarroi qui en découle, il part en Amérique Latine humer l'air vivifiant de l'évolution politique qui s'y opère, faite de grandes promesses, d'espoir et d'avancées réelles. Direction Resistencia, ville tropicale d'Argentine, puis Caracas, où il rallie le camp des fonctionnaires en s'occupant, pour la mairie de la ville, de la diffusion de la culture populaire.
En 2012, un mail de France le rappelle à son rêve de devenir écrivain. Les excellentes éditions Quespire avec qui il était en relation depuis son passage à l'université veulent publier un recueil de ses meilleures nouvelles. Sort alors "Naufrages", ouvrage minutieux et poétique articulé autour de quatre nouvelles, et tourné vers la mythologie, le réalisme magique qui s'installe peu à peu comme un arche essentiel de son oeuvre, et le continent Sud-Américain, qu'il connaît déjà bien. Le recueil obtiendra le Prix de l'Inaperçu 2012.
Continuant coûte que coûte à présenter ses textes à nombre de bourses, Miguel Bonnefoy finit par se présenter au plus grand concours du moment - pour un jeune auteur -, celui organisé par Buchet-Chastel, qui récompense l'écrivain francophone de l'année. Ainsi, 2013 sera la sienne ; sa nouvelle "Icare", absolument géniale, poussant le style dans une perfection musicale contagieuse, emporte les suffrages et le voilà gagnant du concours, à nouveau parisien, et désormais convoité par de nombreuses maisons toutes plus prestigieuses les unes que les autres.
La chance ne s'arrête pas là pour le jeune talent franco-vénézuélien. La Fondation FACIM le repère et l'aide à obtenir via le CNL une bourse de 6 000 euros et une place en résidence d'écrivain (située en Savoie) afin de l'aider à écrire son roman. Et c'est donc là-bas, sur les hauts plateaux savoyards, que Miguel accouche de son premier roman : "Le voyage d'Octavio", (124 pages), que les éditions Rivages sous la houlette d'Emilie Colombani, publieront.
L'histoireLes truculentes tribulations de Don Octavio, pauvre habitant de Caracas vivant sur les hauteurs, analphabète grand comme un chêne et timide comme une gêne, qui, apprenant à lire et à écrire, va se forger un destin mythique au sein de sa terre, le Venezuela.
La langueChatoyante, soyeuse, inventive, musicale, foisonnante, touffue, ronde, innocente et poétique, le jeune auteur s'exprime dans une langue oh combien fouillée et légèrement désuète, rappelant combien la langue française est riche et célébrée de par le monde. Miguel Bonnefoy ne laisse ainsi aucun registre lui échapper, il décline tour à tour paragraphes brodés, oralité, style très soutenu, noms latino-américains et bons mots français, nous faisant trésaillir de la sorte, tant sa voix semble épouser le récit rocambolesque du destin aventureux de ce pauvre, mais néanmoins fameux, Octavio.Comme pour la nouvelle "Icare", Bonnefoy semble avoir pris un malin plaisir à faire renaître des pans entiers de champs lexicaux oubliés, et s'il a délaissé le vocable de la chasse, il met à l'honneur avec ce conte : le monde des antiquités, et celui de leur rénovation, allégorie sans doute, de son travail de restauration des mythes.
Les PersonnagesLes personnages qui animent le Voyage m'ont beaucoup plu. Leur aspect pittoresque, farfelu, théâtral, leurs gestuelles, la manière dont ils s'expriment, tout est savamment dosé et assez irrésistible. De Guerra, un élégant voleur à la tête d'une confrérie de cambrioleurs qu'il mène à la baguette, et qui considèrent le vol comme un art, à Venezuela, femme Vénézuélienne à l'âge avancée, tragédienne dans l'expression, et fière et angoissée dans la pratique, tous donnent lieu à des savoureuses rencontres surprenantes, explosives, aussi drolatiques que dramatiques.À propos de Guerra : "C'était un cambrioleur délicat dont la politesse dans le vol était inimitable, pleine de remords et de drame".Quant à la première rencontre Octavio - Venezuela : "Timidement, il lui demanda son prénom. Elle répondit avec une voix puissante, comme si elle s'adressait à tout un peuple.- Yo me Ilamo Venezuela."
Le SymbolismeLe Voyage d'Octavio permet aussi de prendre de la hauteur, grâce à l'attention particulière portée aux symboles et autres références mythologiques qui, dans chacun des très courts chapitres du roman, semblent se répondre implicitement, sourdement, mais avec beaucoup de justesse.Et vu qu le mythe essentiel revisité est ici celui de Saint-Christophe, le patron des voyageurs, Miguel Bonnefoy livre en pâture et sans toujours que l'on s'en aperçoive, sa vision de la tentation, du diable, de l'épreuve du voyage et de la rédemption christique.La chute du livre, proprement stupéfiante, et que je vous laisse donc découvrir seuls, va magnifiquement dans ce sens. Celui d'une fable picaresque au dessein fantastique... inimaginable et merveilleux.
Ainsi, parce que ce petit bijou est bref (124 pages), qu'il se lit en un rien de temps, et qu'il révèle une voix qui fera sans doute beaucoup parler d'elle en France et bien sûr au Venezuela, pays qui ne regorge pas encore d'écrivains racontant leurs histoires de petits bourgeois obsédés par le luxe, le pouvoir et l'argent, Le Voyage d'Octavio apparaît comme un limpide remède concocté à base d'une imagination sans borne, d'une touche d'exotisme qui aère, et d'une langue, traquant à chaque recoin l'étendue des beautés du monde.
Le Voyage d'Octavio, le roman conseillé par Gustave de Classe De Fous