Après avoir constaté que, selon les chiffres de 2009 et pour l’ensemble de l’économie mondiale, l’emploi dans le secteur industriel (22 %) était très inférieur à l’emploi dans le secteur agricole (35 %), qui lui-même était assez nettement dépassé par l’emploi dans le secteur des services (43 %), nous voyons les périls particuliers qu’il peut arriver au premier secteur de rencontrer et qui n’appartiennent qu’à lui. En effet, selon l’O.I.T. :
“Au niveau mondial, il apparaît clairement que le coup le plus dur a été porté à l’emploi dans l’industrie, ce qui n’est pas étonnant compte tenu de l’impact de la crise sur les exportations de produits manufacturés et sur le secteur de la construction. L’emploi mondial total dans l’industrie a légèrement baissé en 2009, ce qui représente une divergence importante par rapport à son taux de croissance annuel historique de 3,4 pour cent sur la période allant de 2002 à 2007.” (pages 21-22)
Après avoir rappelé que le secteur industriel est le lieu essentiel de production de cette précieuse plus-value qui est ce qui fait vivre le capitalisme à l’exclusion de toute autre chose, la question se pose de savoir sur quelle région du globe a plus particulièrement frappé cette baisse de l’emploi industriel des lendemains de la crise financière de 2007.
Le rapport de l’O.I.T. répond :
“Cinquante-cinq pour cent de la hausse totale du chômage mondial entre 2007 et 2010 sont survenus dans la région des économies développées et de l’Union européenne, alors que cette région ne compte que pour 15 pour cent de la population active mondiale. Après un repli de 2,2 pour cent en 2009, l’emploi a encore reculé de 0,9 pour cent en 2010. L’industrie a ainsi perdu 9,5 millions d’emplois entre 2007 et 2009.”
Nous pouvons maintenant observer ce qui s’est passé dans le monde arabo-musulman à ce même moment. Commençons par le Moyen-Orient :
“La crise économique et financière a mis plus longtemps à faire sentir ses effets au Moyen- Orient que dans d’autres régions du globe. Qui plus est, l’impact lui-même a été moins marqué que dans d’autres régions, du fait de l’excédent de liquidités constitué grâce aux prix élevés du pétrole et à l’isolement relatif de certaines économies de la région par rapport aux marchés mondiaux.” (page 51)
Ce qu’il faut souligner, c’est à quel point la non-participation au marché mondial peut représenter une forme de protection, pour autant que les ressources pétrolières elles-mêmes ne sont pas menacées. Mais, si les secousses économiques peuvent être moins douloureuses, l’économie de production, non stimulée par le libre-échange (capitalisme), est plus ou moins stagnante, de sorte que :
“Le chômage est une préoccupation majeure au Moyen-Orient.” (page 53)
En effet, le taux de chômage du Moyen-Orient dans son ensemble “demeure le taux régional le plus élevé du monde, seule l’Afrique du Nord affichant un taux de chômage d’un niveau presque analogue en 2010. Le chômage porte particulièrement atteinte aux perspectives des jeunes sur le marché du travail.” (page 53)
Voici donc que les deux régions arabo-musulmanes se retrouvent à la première place mondiale en ce qui concerne le taux de chômage. On voit l’attrait qu’elles peuvent présenter pour les capitaux occidentaux en quête d’une production de plus-value à bon compte, c’est-à-dire dans des conditions bien meilleures qu’en Occident. Il convient aussi de retenir la place que prend le chômage des jeunes, et donc l’attrait que ceux-ci représentent pour l’extérieur…
Ceci est même tout ce qu’il y a de plus criant en Afrique du Nord :
“Selon les estimations, un jeune sur quatre sur le marché du travail était au chômage en 2010.” (page 53)
Quant à l’autre région du monde arabo-musulman, elle ouvre sur des perspectives tout aussi intéressantes :
“Au Moyen-Orient, les taux de chômage élevés, conjugués aux faibles taux d’activité, se soldent par des ratios emploi-population très bas. Le ratio régional s’est ainsi établi à 45,4 pour cent en 2010, indiquant que moins d’une personne sur deux d’âge actif travaille effectivement. Cette situation résulte du fait que, dans la région, seule une femme sur cinq travaille.” (page 53)
Après les jeunes, les femmes…
Or, nous avions vu précédemment qu’au Moyen-Orient la crise avait frappé moins vite et moins profondément que partout ailleurs dans le monde. Qu’en a-t-il été de l’Afrique du Nord ?
“Dans l’ensemble, l’Afrique du Nord n’a pas été aussi durement touchée par la crise économique et financière que d’autres régions. Ainsi, pendant l’année de crise 2009, la croissance de son PIB a augmenté de 3,5 pour cent.” (page 54)
Pour le Moyen-Orient, il nous avait été dit qu’il en était ainsi parce que les prix du pétrole étaient restés élevés, mais aussi du fait d’un lien moins marqué avec les marchés mondiaux. Comment s’explique, en Afrique de Nord, et selon l’O.I.T., la croissance continuée du PIB après la crise ?
“Cette croissance relativement forte du PIB est en partie due au fait que les marchés de la région ne sont pas totalement intégrés dans les marchés internationaux, mais aussi à la rapidité avec laquelle les gouvernements ont pris des mesures de riposte pour atténuer l’impact de la crise par des plans de relance.” (page 54)
Tout ceci tendrait à nous démontrer qu’à l’abri des circuits mondiaux, c’est-à-dire de l’éventuelle pénétration du mode capitaliste de production et d’échange, les deux régions arabo-mulsumanes ont développé un équilibre homéostatique particulier. Et donc un mode de vie qui s’efforce de se défendre contre les aléas de l’économie mondiale, tout en s’arrangeant d’une moindre dynamique de développement.
A contrario, il est assez clair qu’ainsi organisé, le monde arabo-musulman constitue une cible idéale pour les pays prédateurs en pleine crise de production et d’extorsion de la plus-value… Il est même possible de dire que les jeunes et les femmes constituent le coeur de la cible. C’est donc l’intérieur de l’organisation familiale et tribale qu’il faut tenter, à tout prix, de modifier. Or, il s’y trouve une force de résistance spécifique : l’islam.
Michel J. Cuny
Source : Mondialisation.ca