Ted Cruz est en charge de la NASA. Un projet de loi sur la neutralité du Net qui éviscère toute tentative de réglementation. Sortez le popcorn, ça va barder.
En novembre dernier, je vous livrais mes pronostics concernant l’arrivée imminente d’un nouveau Congrès américain à majorité républicaine tant au Sénat qu’à la Chambre des représentants.
Maintenant que ce Congrès est entré en fonction, quelles conclusions peut-on tirer de ses premières actions? En gros : les deux prochaines années seront divertissantes pour les amateurs de surréalisme qui, comme nous, observeront les événements à distance, mais probablement pas très agréables pour les scientifiques et les geeks qui devront en subir les conséquences.
Cruz Contrôle
Au cas où vous ne connaîtriez pas Ted Cruz, sachez que ses chances de victoires étaient perçues plutôt minces aux yeux des analystes, croyant que les républicains le trouvaient trop réactionnaire et bizarroïde pour le désigner comme candidat.
Les chercheurs de la NASA, par exemple, doivent avoir le caquet bas par les temps qui courent. C’est que le nouveau sénateur responsable du sous-comité de l’espace, des sciences et de la compétitivité (le dernier terme ayant récemment été ajouté à la liste parce qu’il faut bien que l’économie mette son nez partout) est nul autre que Ted Cruz, l’enfant chéri du Tea Party.
Au cas où vous ne connaîtriez pas le personnage, sachez que lors de sa première campagne électorale il y a quelques années, la plupart des analystes ne prenaient pas ses chances de victoire très au sérieux parce que Cruz était généralement considéré comme trop réactionnaire et trop bizarroïde pour être désigné comme candidat par les républicains du Texas.
Parmi ses déclarations les plus savoureuses / indigestes, Cruz a dit regretter que Bruce Willis n’ait pas été invité à témoigner lors d’audiences sur la menace posée par les astéroïdes susceptibles d’entrer en collision avec la Terre, et il a déjà comparé la neutralité du réseau à un «Obamacare pour l’Internet». Celle-là, si vous la comprenez, faites-moi signe.
Image tirée du film Armageddon (Photo : Touchstone Pictures).
Toujours est-il qu’une fois élu, Cruz s’est activé en coulisses pour saccager le budget de la NASA, sur lequel il a dorénavant autorité. De quoi provoquer un malaise digne d’une assemblée publique de Radio-Canada lors du prochain party de bureau.
Espérons que ces manœuvres n’étaient que des facéties de politicien d’opposition, et que Cruz adoptera un comportement plus conciliant maintenant qu’il est au pouvoir. Espérons-le, mais ne soyons pas trop optimistes, car Cruz ne porte pas la science en très haute estime – il est notamment un négationniste notoire en matière de changements climatiques. Vous ai-je dit que la description de tâches de la NASA inclut l’étude scientifique de la Terre à l’aide de satellites et que ses données servent à l’élaboration des modèles climatiques que Cruz aimerait voir disparaître dans un volcan en éruption?
Neutralité du Net : un bien drôle de compromis
Le projet de loi laisse les fournisseurs libres d’exiger des frais pour livrer du contenu plus rapidement si «les consommateurs l’exigent» ou s’il s’agit de «services spécialisés» autres que l’accès Internet lui-même.
En matière de neutralité du réseau, les membres du Parti républicain ont déjà déposé un projet de loi qui, au premier coup d’oeil, semble raisonnable. Plus question pour les fournisseurs de pouvoir étrangler le trafic de leurs clients ou de prioriser certains contenus moyennant pots-de-vin honnête rémunération.
Sauf que… il y a des exceptions. Le projet de loi laisse les fournisseurs libres d’exiger des frais pour livrer du contenu plus rapidement si «les consommateurs l’exigent» ou s’il s’agit de «services spécialisés» autres que l’accès Internet lui-même. Si la première clause semble avoir été taillée sur mesure pour encourager l’émergence de faux groupes de consommateurs financés en sous-main par l’industrie, la seconde risque de s’appliquer à peu près à n’importe quoi : Netflix, Twitch, l’achat de jeux par téléchargement, etc.
Et surtout, le projet de loi retire au FCC, l’équivalent américain du CRTC, le droit de réglementer le déploiement de services en ligne pour favoriser la création de réseaux publics dans les municipalités. Or, aux États-Unis, bien des communautés ne sont desservies que par un ou deux fournisseurs pour l’ensemble des services de télécommunications, et les réseaux publics constituent à peu près la seule manière de créer de la concurrence, d’améliorer le service ou d’abaisser les tarifs.
Conclusion
En matière de neutralité du Net, on peut assumer sans trop craindre de se tromper qu’il ne se passera rien avant la prochaine élection présidentielle, en 2016. Les républicains feront la sourde oreille aux demandes du président Obama, qui interjettera son veto aux lois votées par le Congrès qu’il jugera inappropriées, et le débat croupira dans l’immobilisme et la politique-spectacle.
Mais en ce qui concerne le financement de la science, la situation est plus délicate. Aux États-Unis, le Congrès contrôle le budget; on peut donc s’attendre à une série d’audiences délirantes au cours desquelles des chercheurs de plus en plus déprimés tenteront de justifier leurs travaux devant un Ted Cruz de plus en plus confus – sans parler de ses collègues aux sympathies créationnistes.
Vu de l’extérieur, le résultat pourrait constituer une sorte de divertissement morbide. Mais disons que, si je travaillais pour la NASA, je serais à la recherche de l’adresse de courriel d’un recruteur de l’Agence spatiale européenne ces jours-ci.