Un QE pour rien

Publié le 22 janvier 2015 par H16

Énième bourde communicationnelle ou information lâchée volontairement ? Difficile d’évaluer la petite phrase de François Hollande, visiblement requinqué par une embellie sondagière caricaturale : le président français a assuré lundi, devant un parterre d’entrepreneurs et de journalistes frétillants de divulguer un tel scoop, que la BCE (Banque Centrale Européenne) allait « jeudi prendre la décision de racheter des dettes souveraines ».

Certes, l’information d’un prochain QE (quantitative easing) de l’institution bancaire européenne n’est pas à proprement parler une surprise, puisque, même incertain, il était attendu depuis des mois par une partie du marché et de la classe politique avides de trouver à un problème complexe de déflation et de croissance en berne une solution simple, rapide, coûteuse et inefficace. Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il n’appartient décidément pas au président français d’annoncer ce genre de nouvelles, d’autant que la situation financière est actuellement très tendue, et que la maîtrise des enjeux financiers et économiques par nos dirigeants laisse plutôt à désirer, pour le dire gentiment.

En effet, le panorama prête difficilement à sourire, et encore moins à balancer de la petite phrase comme d’autres de l’huile sur le feu.

Pour rappel, les jours qui viennent de passer ont vu la Banque Nationale Suisse sortir d’un « peg » entre le Franc Suisse et l’Euro, fixation arbitraire de l’une à l’autre devise qui avait abouti à un taux de change un tantinet artificiel de 1.20 CHF pour 1 EUR. Ce « peg » envolé, la monnaie helvétique s’est assez brutalement renchéri pour atteindre la parité avec l’euro. Le choc a été si rude, notamment pour l’économie suisse, qu’on peut se demander ce qui a bien pu pousser les dirigeants de la BNS à une telle manœuvre, mais il est difficile d’imaginer qu’ils ont fait l’économie d’un calcul simple de comparaison entre les dégâts causés à l’économie du pays, et ceux que causeraient, à plus ou moins long terme, la conservation de ce « peg ».

La conclusion semblant être qu’il valait mieux les dégâts immédiats de la fin du « peg » aux hypothétiques dégâts futurs liés à sa conservation, on pourra raisonnablement penser que les économistes suisses n’ont rien vu de franchement réjouissant dans les prochains mois concernant l’euro. La proximité des annonces de Draghi au sujet de ce fameux QE ressemblent à s’y méprendre à un élément déclencheur.

Pendant ce temps, on gardera un œil sur la situation grecque qui n’est toujours pas bonne, et dont la tendance n’est pas du tout à l’amélioration. D’une part, il y a bien sûr la prochaine élection qui a de fortes chances de donner une majorité, au moins relative si ce n’est absolue, à Syriza, le parti d’extrême-gauche. Ceci entraînerait une remise à plat conséquente du plan de restructuration de la dette grecque, avec en ligne de mire un défaut de paiement généralisé. Pour le reste des états membres de l’Union européenne en général et de la zone euro en particulier, il est impératif qu’une telle faillite se fasse avec la plus grande douceur, la meilleure préparation pour éviter la panique et l’éclatement de la monnaie unique. D’autre part, et c’est encore plus croustillant, le parti de gauche ayant, dans ses promesses de campagne, fait assaut de populisme (réductions d’impôts et annulation de dettes à gogo), l’Etat grec éprouve les plus grandes difficultés à collecter les recettes fiscales, ce qui accroît encore le problème général de la dette.

Enfin, à l’approche des élections, il semble que les citoyens grecs retirent discrètement mais obstinément leurs avoirs des banques locales, à raison de plusieurs milliards d’euros tout de même, ce qui, là encore, n’améliore pas franchement la situation de ces banques qui en profitent, du coup, pour réclamer bruyamment des liquidités aussi bien pour se protéger en cas de bank-run avéré que pour alimenter une tension financière apte à faire pencher les autorités européennes en leur faveur.

Parallèlement et parce qu’avec les éléments précédents, ce sera tout de même encore trop simple, on rappellera que les banques centrales continuent toujours de stocker de l’or, relique barbare et matière première encombrante qu’on ne peut pas manger mais diablement intéressante en cas de gros pépin. Bien sûr, j’en avais parlé dans ces colonnes, la Chine stocke à tout va. La Russie continue d’acheter de l’or à la tonne. L’Allemagne, dont on se rappellera qu’elle avait commencé à récupérer, avec difficulté, son or stocké à l’étranger, continue ses rapatriements avec une certaine gourmandise.

Mais peu importe ces nouvelles, et peu importe qu’elles pointent résolument vers un affaiblissement à venir de l’euro (dans des proportions qu’on laissera au lecteur le soin d’évaluer, sachant que « total » n’est pas à exclure). Au moment où ces lignes sont écrites, rien n’est encore fixé, mais le QE a été décidé, ou, au moins, ardemment poussé par les politiciens en mal de robinet à pognon. Et puisqu’il pourrait, selon toute vraisemblance, finalement advenir, on doit pouvoir se demander ce qu’on peut en attendre. Malheureusement, si on utilise les expériences passées pour évaluer les performances futures de cette opération, force est de constater que les banques centrales qui y ont eu recours jusqu’à présent n’ont pas du tout obtenu les résultats escomptés. En fait, plus il y a eu de QE et de bidouilles diverses sur les monnaies (dollar, yen et maintenant euro), plus l’effet escompté (une belle inflation solide) s’est fait désirer.

Quant à la croissance obtenue par ce moyen, au demeurant trop faible, elle a ce délicieux parfum de l’artificiel assis sur des bases douteuses qui font se demander ce qu’on lui trouve de si sexy au point d’en vouloir encore plus. Du reste, et comme l’analyse un récent article de ZeroHedge au travers de graphiques fournis par la banque Credit Suisse, la BCE risque surtout d’envoyer avec son QE un énorme signal déflationniste alors que l’Europe est actuellement en plein milieu d’une déflation (ou, dit plus pudiquement, une inflation de -0.2%)

Comme on le comprend, la situation va, très certainement, prendre un nouvel essor dans les prochains jours, et la tension financière actuelle devrait gagner en intensité. Face à celle-ci, on peut se demander si le président français sera à la hauteur ou si, plus prosaïquement, le déluge de communications et d’apparitions médiatiques que lui et son gouvernement nous réservent permettront de surmonter les crises à venir.

On est en droit de douter.

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