L'homme qui ment de Marc Lavoine 3,75/5 (12-01-2015)
L'homme qui ment (192 pages) est sorti le 14 janvier 2015 aux Editions Fayard.
L‘histoire (éditeur) :
Communiste et charmeur, cégétiste et volage : tel était Lulu, mon père. Menteur aussi, un peu, beaucoup, passionnément, pour couvrir ses frasques, mais aussi pour rendre la vie plus belle et inattendue.
Lulu avait toujours une grève à organiser ou des affiches à placarder. La nuit venue, il nous embrigadait, ma mère, mon frère et moi, et nous l’aurions suivi au bout du monde en trimballant nos seaux de colle et nos pinceaux. Il nous faisait partager ses rêves, nous étions unis, nous étions heureux.
Evidemment, un jour, les lendemains qui chantent se sont réduits à l’achat d’une nouvelle voiture, et Che Guevara a fini imprimé sur un tee-shirt.
Le clan allait-il survivre à l’érosion de son idéal et aux aventures amoureuses que Lulu avait de plus en plus de mal à cacher ? Collègues, voisines, amies ; brunes, blondes, rousses : ses goûts étaient éclectiques. Lulu était très ouvert d’esprit.
Sans nous en rendre compte, nous avions dansé sur un volcan. L’éruption était inévitable.
Mon avis :
Difficile d’aborder un roman aussi personnel que L’homme qui ment, dévoilant toutes les facettes de ses parents (les bons comme les mauvais côtés), alors que son auteur est une personnalité reconnue et appréciée des français. Même si on éprouve parfois un certain malaise, la lecture reste agréable du début à la fin, car le ton donné à ces mots mêle autant de tendresse, de sensibilité que de désillusions.
« Quand les choses eurent pris leur place, nous étions quatre, mon père, ma mère, mon frère et moi, plus la chatte Mistouflete, et nous avons eu des bons moments. C’était le temps de l’idéal, la banlieue, les années soixante. (…) La vie était bohème, avec des grosses galères en fin de mois. (…) La vie des travailleurs, convaincus de bâtir un avenir meilleur – faucille et manteau en tête d’affiche. » Page 14
« Oh ma banlieue, mon pays, mes racines, tu avais encore un visage d’enfant venus du temps dont la langue ne se parle presque plus, ici, près des piste d’Olry. Banlieue, origine du monde, tu restes dans mon cœur comme la Bretagne pour un Breton, Marseille pour Pagnol, le pays d’origine d’un émigré. » Page 15
« Évoquons cette époque où nous étions quatre, la rue des Acacias, le foot, le muguet, la politique, les chansons, les films, les copains, les copines, Dieu et ka Vierge Marie.
La rue des Acacias abriterait mon quartier général, dans le petit pavillon de banlieue jouxtant celui de mes grands-parents paternels, pépé Riton et mémé Malou. C’est là que mes années banlieue seraient les plus belles.» Page 16
Marc Lavoine nous fait part de son enfance au 21 rue des Acacias à Wissous, de ses bonheurs simples en famille, ses vacances dans le Lot à Douelle, ses rapports avec Lucien et Micheline, ses parents, avec Francis, son frère qu’il admire tant parce que toujours présent pour tout le monde sans jamais faillir. Il se livre sans concession sur sa vie privée, abordant aussi bien l’infidélité et le penchant à l’alcool de son père, que le mal être chronique de sa mère.
Tout commence par la mort de Lulu, son père communiste, ancien employé des PTT. Tous ses proches sont réunis autour de son cercueil. Il y a ses fils Marc et Francis, sa fille Ophélie (leur demi-sœur), son épouse Michou, Geromie sa troisième femme et Catherine, sa seconde, à l’écart car interdite de cérémonie. Et en pensées il y a aussi les amis du PCF avec les couronnes. Toute sa vie est là. Et c’est à partir de là que Marc Lavoine choisit de retracer son passé, d’évoquer ses désillusions et ce qui a sans doute fait de lui ce qu’il est maintenant.
Lulu c’est tout ça : les femmes, la boisson et le PCF, mais aussi la famille. L’auteur brosse le portrait d’un homme beau, classe, drôle, créatif, tout entier à la cause, ressorti de la guerre d’Algérie rempli de douleur et d’un idéal, un rêve communiste et cégétiste. Un homme aussi incapable de résister aux femmes, et tout aussi incapable de ne pas mêler ses enfants à ses histoires de fesses comme de cœur.
« Lulu, tu avais mobilisé toute la famille pour suivre tes engagement. Chaque élection, seaux, pinceaux, colle, affiches pari Communiste. Programme commun : la nuit, nous nous tenions à tes côtés, et c’était formidable cette impression d’être dans la Résistance. » Page 36
« On ne savait plus très bien d’ailleurs si ton boulot, c’était PTT ou PCF. Le dosage, c’était un tiers CGT, un tiers PTT et ton tout communisme, tout ça nous dépassait un peu et nous faisait rêver.» Page 17
Marc Lavoine brosse aussi le portrait d’une maman plein d’affection, sans griefs malgré le mauvais départ ce 6 aout 1962, alors que Michou est persuadée de mettre au monde une petite Brigitte mais accouche finalement d’un garçon mal en point (atteint d’une bronchopneumonie et d’asthme). Après un temps d’adaptation, le temps de voir ce que le destin réserve à ce bébé, elle finit par accepter et aimer ce petit Marc.
« Pourquoi ce chagrin ? Un de plus ou un des premiers ? Si j’avais été une fille, quelles auraient été ta vie et la mienne, maman ? (…) Tu aurais tricoté dans une autre couleur. A la place du bleu que tu avais à l’âme, le rose d’aurait fait voir la vie autrement. Le bleu te donnait des cernes, le rose aurait pu t’offrir des fleurs et te teinter les joues, va savoir. Des regrets ? Tu me manques en tout, mais je ne regrette rien. Cette vie, je la prends, je la garde telle quelle, avec ces chagrins. »
Micheline est une femme heureuse, forte, souriante, belle mais aussi consciente et souvent triste au fond.
« J’étais au comble de l’émotion, tu étais belle comme une cendrillon.
Je te vois vendre du muguet. Je te vois réfléchir, penser. Je te vois ne rien dire. Je t’entends te taire et les mots que tu penses, je les entends aussi. (…) tes sanglots déchirés oint le goût d’un amour que tu sais déjà vaincu. » Page 29
Et il est aussi question de musique et de femmes. De beaucoup de femmes. Celles que Marc aime regarder, ses copines d’école, celles avec qui il joue et découvre la vie (son attirance pour la gente féminine est forte). Et aussi et surtout les femmes de son père, un mari qui avait même une chambre rue Lecourbe, à côté des chèques postaux pour plus de commodités, où toutes défilaient : les régulières, les sérieuses et les filles d’une fois. Un mari qui n’hésite pas à emmener ses fils en vacances à Saint Malo avec sa maitresse pendant que son épouse est en convalescence à l’hôpital…Les anecdotes pleuvent.
« La fête du slip en long, en large et en travers. Quelle santé ! Quelle capacité à jouer, à faire sablant, à cacher. J’en reste encore baba. » Page 49
Fortement touché par l’infidélité de son père (dont il est le confident) et par la tristesse de sa mère, Marc Lavoine écrit là un roman-thérapie. J’ai eu le sentiment en lisant ce livre que son écriture s’était imposée à lui. L’utilisation répétée du TU destiné aux divers membres de sa famille (et même à sa ville d’enfance) m’a donné à penser combien la nécessité d’adresser un message posthume était grande, comme pour se libérer d’un sentiment de regret et de culpabilité, sans pour autant que l’amertume domine l’amour.
« Nous étions, mon frère et mi, dans la confidence de notre père sans avoir rien demandé. Tenez, les gars, la patate chaude des histoires de fesse de papa. C’est sympa, cool, moderne, un truc de mecs. Mais moi, je n’étais pas un mec pour ma mère qui, à force de me considérer comme une fille, m’avait donné une sensibilité proche de la sienne. Lulu nous poussait dans les bras de ses secrets comme pour se justifier, affronter nos regards qui posaient tant de questions gênantes. » Page 55
« J’étais coincé dans les mensonge de mon père : quand je voyais Michou à la maison, je savais ; quand elle me faisait des câlins, je savais ; quand elle me parlait, je savais ; quand elle me réveillait le matin, je savais, je savais et je ne disais rien. Elle demandait « ça va, mon ange ? », je répondais « oui » rapidement pour couper court et par crainte de la question suivante. Oui, j’avais peur, et j’étais pas content de savoir. » Page 79
« Pourquoi, docteur, quand je pense à tout ça, j’ai honte, j’ai peur de mon succès, de mon physique ? » page 181
Même si ça reste très joliment écrit, je n’ai pas trouvé que c’était forcément de la grande littérature. J’ai, par exemple, été dérangée par l’utilisation mélangée du présent, de l’imparfait, du passé simple et composé (ça clouera peut être le bec à ceux qui cherche déjà un nègre derrière ces pages), mais ça ne m’a pas empêché d’apprécier L’homme qui ment, d’être touchée par les mots de l’auteur qui l’a écrit avec cœur. Je pense que l’implication personnelle est bien trop grande ici et que les sentiments ont pris le pas sur l’écriture et la recherche littéraire. Cela n’en fait pour autant un mauvais livre, au contraire. Me plonger dans les souvenirs du chanteur, acteur et romancier a été au final plaisant et très touchant. J’ai beaucoup aimé la simplicité et la sensibilité qui s’en est dégagées et je n’ai d’ailleurs pu m’empêcher tout au long de ma lecture de noter certaines phrases pour leur beauté et l’émotion qu’elles délivraient. Si les sujets qu’il aborde sont intimes je n’ai pas non plus eu le sentiment de m’immiscer dans sa vie. J’ai simplement découvert son passé avec intérêt, sourire et tristesse, une manière de connaître un peu plus l’homme tout simplement.
En bref : L’homme qui ment un récit délicat qui ne laisse pas indifférent.