la vocation d'un prêtre

Publié le 21 janvier 2015 par Dubruel

Depuis deux semaines

L'abbé Mauduit desservait la paroisse

On le savait doux et amène.

La comtesse de Boisse

Lui demanda un samedi

De se joindre aux notables de sa cour.

Entre deux tasses de thé, elle dit :

-" Monsieur le curé, c'est votre tour,

Confessez-vous ! "

L'abbé, qui n'aimait pas

Ce genre de rendez-vous,

Commença :

-" J'étais né pour être curé.

C'était ma voie, je m'y suis consacré. "

La châtelaine lui demanda expressément :

-" Qu'est-ce qui vous a déterminé ?

Vous ne semblez ni fou ni passionné.

Est-ce un chagrin, un triste événement ? "

-" Je n'étais pas né pour le monde habituel.

Mon père était maître d'hôtel.

Il me mit fort jeune en pension.

Or ils sont parfois sensibles les garçons.

On les enferme

Loin de ceux qu'ils aiment.

Avec les autres, je ne jouais guère.

Je n'avais pas d'amis sincères.

Je regrettais la maison familiale

Et demeurais renfermé, sentimental.

Je devins d'une sensibilité si vive

Que mon âme ressemblait à une plaie vive.

Quand j'atteignis ma seizième année,

Je savais déjà tout de ma destinée.

Ma vie ne serait qu'une lutte effroyable

Où je recevrais

Sans arrêt

Des coups épouvantables.

Cette vie, je décidai de l'esquiver

Sinon j'aurais été vaincu, achevé.

Un soir, j'aperçus un chien qui trottait

À dix pas de moi. Je l'ai appelé.

Il s'est arrêté.

Puis il s'approcha. Je l'ai cajolé.

J'ai aimé ce chien passionnément.

Lui, me donnait sa tendresse, vraiment.

Nous étions comme deux frères

Perdus sur la terre,

Sans défense et isolés.

Un jour, c'était fin mai,

Nous cheminions lui et moi vers Louviers.

Une diligence arrivait.

Mon chien s'est précipité

Le pied d'un cheval l'a culbuté.

Il mourut peu après.

Je ne puis exprimer

Ce que je ressentais.

Quel malheur ai-je supporté !

Le soir au dîner, mon père furieux

De me voir dans un tel état pour si peu,

S'écria : " Qu'est-ce que ce sera

Quand tu auras

De vrais chagrins...

Si tu perds ta femme ou un de tes gamins..."

Ces mots me restèrent en mémoire.

Les petites misères, les déboires

Prenaient une importance démesurée.

C'était décidé,

Je passerai ma vie

Au service des autres, à soulager leurs soucis,

Torturé que j'étais par la misère humaine !

Pour moi, ces souffrances, ces peines,

Ces afflictions

Sont devenues pitié et compassion.

Vous voyez-,

Je n'étais point fait

Pour vivre dans le monde d'aujourd'hui. "

Pour conclure, la comtesse nous dit :

-" Moi, si je n'avais pas

Mes petits-enfants et mes livres,

Je crois que je n'aurais pas

Le courage de vivre. "