Le 11 janvier dernier, le monde entier, France en tête, communiait dans le recueillement et une ferveur inouïe jusqu’alors pour la liberté d’expression, la liberté de la presse et parce qu’en se rassemblant tous, pacifiquement, pouf, le terrorisme disparaîtra. Dès lors, plus rien ne serait comme avant.
Avant, on tergiversait au sujet des unes de Charlie Hebdo, comme le firent beaucoup trop d’individus tièdes qui s’empressaient de les dénoncer sans comprendre l’importance d’une liberté d’expression pleine et entière. Avant, on découpait cette liberté en petits morceaux faciles à appréhender, faciles à avaler, à mâchouiller et à recracher dans différents contextes. Mais ça, c’était avant.
Après les attentats, les cartes devaient être rebattues, les différences et les clivages oubliés, l’unité devait prendre le pas. Quant à la liberté de la presse et celle, concomitante, d’expression, elle devait être à nouveau indiscutable. Le monde entier, à nouveau éclairé par le phare bien français de la Liberté, allait voir ce qu’il allait voir, scrogneugneu.
Et en quelques jours, il a vu. Après un véritable feu d’artifice communicationnel axé sur un renouveau de la politique antiterroriste à pas cadencé, quelques mises au point furent rapidement faites, sur le mode « La liberté de la presse ne se négocie pas », suivi d’un « mais » bien gras et appuyé, parce qu’il ne faut pas oublier qu’on est en France, hein, tout de même.
Il faut dire que, l’espace d’une semaine, l’unanimité fut totale. Pendant sept jours, les censeurs ne pouvaient plus rien dire. Pendant cette semaine tragique et exceptionnelle, la liberté de la presse fut rappelée, louangée, défendue corps et âme puis érigée en rempart infranchissable dressé par la démocratie, la République et la civilisation, contre la barbarie, l’obscurantisme et aussi les méchantes idées qui piquent, parce qu’il ne faut pas oublier qu’on est en France, hein, tout de même.
Seulement, une semaine, c’est long quand on est un compulsif du petit cri strident à chaque bobo imprévu. C’est tellement long qu’une fois ce laps de temps écoulé, les bonnes habitudes sont revenues aussi sec, notamment celles qui consistent à bien mesurer les expressions, les opinions et les avis à l’aune du politiquement correct et des lois qu’on aura préalablement fait voter dans un temps où l’outrance était plus simple, parce qu’il ne faut pas oublier qu’on est en France, hein, tout de même.
En pratique, la scène salace, peinte là il y a plus d’une dizaine d’années, représente un quintuplet de super-héros (trois hommes et deux femmes) en pleine orgie. Sur celle-ci ont été apposées il y a quelques jours trois bulles dans le style d’une bande-dessinée faisant directement référence à la loi Santé de Marisol Touraine. La ministre n’est pas citée, son nom n’apparaît pas et tout porte à croire que c’est plutôt les internes auxquels la fresque fait référence plutôt qu’à la ministre. L’horreur étant totale et le collectif « Osons Le Féminisme » particulièrement bien introduit auprès des médias, la presse s’est emparée de l’affaire pour la faire mousser. Libération, oubliant un de leurs précédents articles sur les salles de garde documentant clairement la paillardise des lieux, reporte l’affreuse affaire sans distance ni analyse. C’est sûr, c’est un viol collectif (obligé !) …
Vite, il faut censurer et châtier les auteurs, parce qu’en France, on a le droit d’insulter publiquement la foi de millions de personnes et ce, de façon aussi graveleuse que possible, mais il est tout de suite plus délicat d’exprimer son mépris pour une loi depuis un lieu privé.
Et pour parfaire une situation devenue bien glauque en la poussant carrément dans l’ornière du grotesque le plus abouti, on apprend, même plus consterné tant tout ceci semble maintenant aussi normal qu’un Président, qu’un juge d’instruction a décidé de poursuivre Arno Klarsfeld pour avoir osé affirmer qu’avec l’extrême-droite, une partie de l’ultra-gauche mais surtout une partie des jeunes de banlieues pourraient être carrément antisémites, ce qui porterait un grave préjudice à ces derniers (aux jeunes de banlieue, hein, pas aux antisémites, ni, bien sûr, à l’extrême-droite ou à l’extrême-gauche – suivez, quoi).
…
À défaut d’avoir été tirée, la chasse est donc ouverte : le Bisounours Censeur s’en donne maintenant à cœur joie. C’est, bien évidemment, parfaitement contradictoire avec la liberté d’expression, mais à présent, tout le monde s’en fiche. C’est, aussi évidemment, parfaitement contre-productif : par Effet Streisand, cela amplifie l’audience et la visibilité de ce qui peut choquer nos moelleux dictateurs. C’est enfin parfaitement con et d’autant plus contre-productif que ça clive les gens entre ceux qui aiment la provocation, ceux qui aiment la liberté d’expression, et les quelques uns qui sont directement choqués. Pire, cela renforce par opposition frontale et grossière les convictions des uns à provoquer, des autres à défendre la liberté d’expression tant elle est attaquée, et excite les derniers à vouloir fermer le caquet de tous les déviants, par la force s’il le faut (et bien sûr, il le faut !). Le problème, c’est qu’être choqué est facile. Il suffit de vivre. Il y aura donc toujours plus de raisons de museler celui qui choque que de raison de le laisser parler.
En tout cas, l’attaque de Charlie aura été un magnifique révélateur d’imbéciles.
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