En 2013, Eric Schmidt, PDG de Google, déclarait ainsi que « l’assurance [était] l’industrie le plus évidemment à la veille de voir les usages du Big Data exploser ». Ainsi, au-delà des aspects réglementaires et autres obstacles qui se dresseraient sur sa route, l’entrée de Google comme assureur de plein exercice mérite d’être étudiée. Car cette menace stimule la réflexion stratégique et l’innovation des groupes d’assurance [2].
La collecte des données‌ et son usage !
L’avantage compétitif de Google sur presque tous les marchés où il est présent réside dans ses capacités de collecte et d’exploitation des données. Dans tous ses métiers, Google utilise ainsi les données fournies par ses utilisateurs afin de leur présenter en retour des résultats adaptés à leurs profils (recherches Internet automatiquement personnalisées, publicités ciblées, etc.). La stratégie de diversification de Google repose ainsi sur deux principes complémentaires :
- La connaissance client (acquise grâce aux métiers historiques de Google) est un levier considérable à exploiter sur les nouveaux marchés considérés.
- Les nouveaux marchés permettent de récupérer des données améliorant la connaissance client de Google (augmentant alors de façon substantielle la valeur de ses activités historiques).
Google a ainsi directement participé à la mutation de nombreux secteurs, du tourisme à la presse, en proposant d’autres activités périphériques ou en cassant les prix‌ puis en récoltant le butin publicitaire ! [3]
Dans l’assurance l’offensive se fera par la connaissance client plutôt que par le prix
Un point positif pour les assureurs réside dans le fait que l’activité d’assurance ne constitue pas en elle-même un levier naturel pour les autres activités de Google. En d’autres termes, Google pourra difficilement rendre moins cher ou plus accessible ses produits d’assurance en raison du surplus de profit qu’induirait cette activité sur ses autres marchés (et notamment la publicité). Ainsi la conquête ne se fera probablement pas à travers une déstabilisation totale du marché par les prix.
En revanche, la connaissance très fine dont dispose Google sur la vie de ses clients (via Google Search, Google Map, Google Flight, Hotel Finder, ‌) est d’ores et déjà un formidable atout pour leur proposer des polices d’assurance mieux adaptées et mieux cadencées. Par conséquent, l’entrée de Google sur le marché mature de l’assurance reposerait probablement sur le levier de la connaissance client.
Une formidable opportunité de renouveau et de différenciation pour les assureurs
Pour les acteurs traditionnels de l’assurance, il convient donc de prévenir, ou tout du moins anticiper, une entrée du géant sur le marché. Trois types de réactions (parfois combinées) peuvent ainsi être envisagés :
- Utiliser le lobbying réglementaire pour dénoncer la toute-puissance de Google et son emprise sur la société (à l’inverse des sociétés d’assurance respectant les contraintes de la CNIL‌).
- Rivaliser avec Google sur son propre terrain en développant ses capacités d’utilisation des données à travers la mise en place de « Data-Labs ». Cette approche est d’autant plus intéressante qu’elle permet de développer un avantage compétitif par rapport à d’autres acteurs du secteur dans le cas où les géants du net ne s’introduiraient finalement pas sur le marché.
- Innover en proposant des offres d’assurance intégrées dont l’étendue compliquerait ainsi l’arrivée de nouveaux entrants sur un seul segment de marché : des offres cross-catégories (auto + habitation + santé + assurance-vie).
Organiser la refonte de son offre pour redéfinir les frontières du marché assurantiel
Cette dernière option est la plus ambitieuse mais aussi la plus à même de créer un avantage concurrentiel décisif. Elle nécessite de redéfinir sa philosophie d’offre en segmentant son marché par clients plutôt que par produits, le tout en rationalisant son portefeuille d’offres par grands profils de clients afin d’assurer cohérence et lisibilité.
Pour y parvenir une approche en deux temps nous paraît être adaptée. Une première étape consisterait à utiliser le « bundling » (regroupement d’une offre de base avec des options déjà intégrées) de façon cloisonnée au sein d’une même catégorie d’assurance (auto, habitation, ‌) afin d’identifier des profils de clients et tester la démarche de proposition de packages différenciés par grands profils de clients. Ensuite la deuxième étape, consisterait à croiser ces différents profils pour leur proposer une offre intégrée d’assurance « cross-catégorie » redéfinissant ainsi les limites du marché : l’assureur redeviendrait alors le conseiller aux multiples facettes chargé de protéger l’ensemble du patrimoine de son client, avec la volonté affichée de reprendre également du terrain sur la Banquassurance.
Ce mouvement marketing nous paraît d’autant plus stratégique qu’à l’heure où 60% des opérations financières sont maintenant réalisées en ligne, l’avantage concurrentiel d’une plus grande fréquence de contact client des banques par rapport aux assureurs s’estompe, redonnant ainsi un nouveau souffle au concept de l’Assurbanque jusqu’à présent malmené. Quelles que soient les intentions effectives de Google sur le marché assurantiel, ce type de transformation marketing est à notre sens la meilleure stratégie pour limiter son impact potentiel sur le marché et développer de nouveaux usages.
[1] : La distribution de l’assurance à l’ère digitale: évolution ou révolution? (Ecole Nationale d’Assurance) Jean-René Becker, 2011
[2] : Il est délicat de présager de la position future que Google tentera de prendre dans la chaîne de valeur de l’industrie assurantielle (comparateur, agent, assureur de plein exercice, ‌). Mais quelle qu’elle soit il convient de réfléchir à la meilleure stratégie pour limiter le potentiel impact de son entrée et/ou profiter des nouvelles possibilités qu’il pourrait apporter au marché. Jusqu’à présent Google a tenté une percée en tant que comparateur sur le marché UK. http://techcrunch.com/2014/06/21/will-google-enter-the-insurance-industry/
[3] : Journal Les Echos du mardi 19 aoĂťt 2014
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