Il ne reste que quelques jours pour découvrir, bien cachée au sous-sol de la Maison européenne de la photographie à Paris, une petite exposition discrète : "Déclics, neuf photographes en hommage à Sabine Weiss".
L'automne dernier, le Salon de la Photo a demandé à neuf photographes professionnels, (Catalina Martin-Chico, Cédric Gerbehaye, Florence Levillain, Jean-Christophe Béchet, Marion Poussier, Mat Jacob, Philippe Guionie, Stéphane Lavoué, Viviane Dalles ) d’environ un demi-siècle ses cadets, de fêter les quatre-vingts dix ans de Sabine Weiss en réalisant chacun une image dont ils auront eu le « déclic» à partir d’une photographie de leur aînée. Leurs neuf photographies sont exposées en regard de celles qui les ont inspirés.
"Courses à Longchamp"
Mon coup de chapeau personnel s'adresse au travail de Florence Levillain pour l'hommage rendu à la photographie de Sabine Weiss "Courses à Longchamp" réalisée en 1952.
"Courses à Longchamp" 1952 Sabine Weis : "Courses à Longchamp" 1952 Sabine Weiss
Récemment nonagénaire, Sabine Weiss nous donne un exemple lumineux par son énergie, sa présence toujours active lorsqu'il s'agit d'exposer son travail. Très jeune, l’occasion s’offre pour elle de réaliser les portraits de personnalités célèbres des arts et lettres : Igor Stravinski, Pablo Casals, Stan Getz, Fernand Léger, Francis Scott Fitzgerald, Alberto Giacometti, Jean Dubuffet…parmi tant d’autres.
Son travail n'est pas conçu comme une photographie coup de poing mais avec le souci d'une approche bienveillante. Sabine Weiss a réussi à nous montrer le monde en intervenant au minimum sur les scènes observées. Elle ne se livre pas à une gesticulation voyante, armée d'une batterie d'appareils encombrants. Comme sa photographie, son geste est discret, léger. Elle ne veut pas déranger la scène observée, ni la bousculer le moindre du monde. Sabine Weiss nous donne le sentiment de réaliser son œuvre sur la pointe des pieds. En 1952, elle portait sur cette actualité sportive aux courses de Longchamp un regard décalé, oubliant volontairement l'évènement hippique pour ne capter que cette scène singulière, étrange scénographie de ces spectateurs juchés sur des chaises pour lesquels Sabine Weiss met en valeur la remarquable perspective.
Florence Levillain, photographe de reportage, s'est consacrée à des sujets très variés allant du monde de l’entreprise aux rues des banlieues. Travaillant en indépendante pour la presse (Libération, Le Monde, Psychologies, l'Etudiant…) elle a effectué de nombreux reportages à l’étranger sur des sujets de société et remporte le prix Kodak en 1999 pour un reportage réalisé sur les femmes travaillant la nuit à Rungis.
Hommage à Sabine Weiss Florence Levillain 2015
En regard de "Courses à Longchamp", la photographie réalisée par Florence Levillain rappelle davantage une œuvre de fiction, une réalisation d'artiste plasticien comme pourrait en proposer un Philippe Ramette par exemple. Dans cette scène que l'on ne peut rattacher à une quelconque actualité, les trois personnages respectant eux aussi la perspective des spectateurs de Sabine Weiss semblent gagner un dérisoire avantage en se juchant sur ces chaises alors qu'il dominent déjà un paysage à leurs pieds. Florence Levillain prolonge et décale un peu plus le regard de Sabine Weiss en sortant l'étrange scénographie des spectateurs de Longchamp de son contexte pour les placer dans une situation inédite où leur attitude perd son sens initial.
D'un sujet de reportage Sabine Weiss avait su porter un regard poétique sur le réel, éloigné du simple propos sportif. Florence Levillain transforme à son tour ce regard poétique sur le réel pour créer une fiction. Le statut de la photographie a changé pour passer de la captation à la mise en scène. Entre ces deux femmes photographes s'est joué à distance une complicité dans le temps d'une photographie libérée de toute urgence informative.
Déclics : Hommage à Sabine Weiss
Avec les oeuvres de Sabine Weiss, Catalina Martin-Chico, Cédric Gerbehaye, Florence Levillain, Jean-Christophe Béchet, Marion Poussier, Mat Jacob, Philippe Guionie, Stéphane Lavoué, Viviane Dalles
4 décembre 2014 au 18 janvier 2015
Maison Européenne de la Photographie
5/7 rue de Fourcy
75004 Paris