Gombrowicz, forme et immaturité

Par Alain Bagnoud

Il y a deux thèmes essentiels chez Gombrowicz :l'immaturité ou la forme. Deux concepts opposés mais passablement vagues au départ. Ou plutôt : ouverts.
L'immaturité est ce qui n'a pas encore de forme, ce qui est inachevé. L'adolescent par rapport à l'adulte, par exemple. Mais entre les deux existe un rapport dialectique.
Dialectiques, l'immaturité et la maturité. Dialectiques, la forme et l'informe. Chaque concept est attiré par l'autre, désire l'autre. Cette relation crée une tension philosophique, existentielle mais aussi sexuelle, une relation ambiguë qui produit de la perversité.
Laquelle est illustrée particulièrement bien dans La Pornographie. Ce roman sans sexe explicite où deux hommes mûrs manipulent un jeune couple, rapprochent une jeune fille pourtant fiancée et une jeune brute, en voyeurs qui participent à leur liaison et les conduisent à s'unir dans un péché final: un meurtre... Une manipulation querecherchent les deux jeunes adolescents, désireux d'être formés, dans une tension qui produit et met en jeu vice et vertu. Tout le monde étant finalement influencé et transformé par son contraire.
Le Journal montre aussi autre chose. Dans la vision de Gombrowicz, il semble qu'il n'y ait pas une totalité de l'existence, mais une suite de faits discontinus, innombrables, accablants par leur nombre. C'est peut-être ça aussi le passage de l'informe à la forme pour l'écrivain : tout ce matériel qui cherche à devenir littérature, à se frayer un passage vers la forme et à se retrouver figé dans un style - et antithétiquement, l'impuissance de l'écrit à tout englober et à donner forme à l'informe - et le désir de l'écrivain de fuir ce labeur de transformation coûteux, de se complaire dans l'immaturité, dans l'irresponsabilité, dans le flux désordonné et qu'aucune exigence ne force alors plus à transformer en littérature.