"Du châle, elle savait apprécier la valeur, la délicatesse, la souplesse du tricotage, la finesse des mailles, elle connaissait la rareté de la soie marine. Il était trop précieux pour le rabaisser en faire-valoir, en objet de séduction. Il allait avec ses cheveux, aussi blond qu'elle était brune, mais avec les mêmes reflets, et il allait aussi merveilleusement avec sa peau. Il était doux sur sa peau travaillée par le grand air. Les boucles qui s'échappent du galon chatouillaient cette peau au ventre, aux épaules, à la nuque, dans le dos. Elle se mettait nue devant le miroir pour l'admirer sur elle, elle tournait le dos au soleil pour qu'il lève dans le châle des blondeurs chaudes et consolantes, consolantes d'elle ne savait plus quoi. C'était le seul vêtement de valeur, le seul accessoire féminin qu'il lui plaisait de porter, mais toujours en cachette, et dont elle aimait, à même sa peau rêche, le contact reposant, envoloppant, remontant, depuis les fonds marins, du soleil dans ses mailles."
La narratrice a confié le châle de sa tante à un musée. Ce châle est précieux car travaillé en soie de mer, un fil soyeux élaboré par un coquillage bivalve, la grande nacre de Méditérranée. La rareté de l'objet lui a naturellement donné sa place dans les collections du musée des Confluences de Lyon. Alors qu'elle vient l'observer, obligée de le toucher avec des gants à présent qu'il ne lui appartient plus, elle laisse ses souvenirs remonter à la surface, ceux liés à son étonnante et libre tante Nella principalement, à Bice l'autre soeur discrète, mais également à son père, haute figure fasciste que les femmes de la famille craignaient beaucoup. La sensualité du vêtement se mêle à une histoire de fratrie trouble et tendue, exacerbée par d'anciennes affinités, une vision de la femme italienne conservatrice et des caractères forts.
Retrouver l'écriture d'Emmanuelle Pagano est toujours pour moi un moment assez précieux. J'ai aimé être de nouveau plongée ici dans une narration qui, partant de l'objet et de la matière, sait aller vers l'imaginaire. Telle est d'ailleurs la volonté de cette collection qui convie des écrivains à traiter comme objet narratif un des éléments du véritable cabinet de curiosités que constitue le fond du musée des Confluences de Lyon. De plus, ayant eu le plaisir de l'entendre jeudi dernier lire quelques extraits de son prochain titre Lignes et Fils en lecture publique dans ma ville, j'ai pu faire le rapprochement entre ce récit et l'intérêt plus large de l'écrivain pour le tissage du fil. Elle nous a parlé de sa manière d'écrire, de ses recherches préliminaires, mais également de son plaisir de partir d'éléments concrets, presque terre à terre, le mot prose et prosaïque étant proches et complètement imbriqués dans son travail. C'est certainement ce qui me plaît beaucoup et me parle infiniment encore dans ce récit. J'ai hâte à présent de découvrir son prochain titre qui paraîtra début février chez POL.
Editions Invenit - Récits d'objets - 10€ - 14 novembre 2014
Les lectures de... Blablamia - Clara - Mirontaine - Pour en savoir plus sur cette collection [clic ici]