d'après UNE VEUVE de Maupassant
-« Dis donc tante Zag,
C’est quoi cette bague ?
On dirait des cheveux d’enfant… »
-« C’est un souvenir terrifiant.
J’avais dix-sept ans alors.
Lui, en avait treize et quelques mois
Quand il s’est tué pour moi.
Ce sont ses cheveux d’or.
L’amour était de tradition
Dans notre maison.
Tu ne peux te figurer quel étonnant
Et précoce enfant
Était ce petit Jacques Montès.
Il possédait toutes les tendresses.
Souvent après le diner,
Il me disait :
’’Allons rêver ! ’’
Et nous partions nous promener.
Je riais et l’embrassais.
Ce gamin m’adorait.
Il me fit la cour, une cour timide.
Moi, coquette et perfide,
Caressante et séduisante
J’affolai cet enfant.
Songez, Jacques avait treize ans !
Pour moi, c’était un jeu.
Mais lui prenait cela au sérieux.
Je l’embrassais tant qu’il voulait.
Je lui écrivais de doux billets.
Il me répondait des lettres de feu
Je les ai gardées comme ses cheveux.
Un soir, il me répéta dans un étrange soupir :
’’Je t’aime, je t’aime à en mourir.
Si tu me trompes, entends-tu,
Si tu m’abandonnes, je me tue.’’
Ah ! Je fus coupable, bien coupable.
J’avais été trop loin ; je le savais.
Je lui répétais :
’’Tu n’as pas l’âge pour un amour véritable.’’
Ses parents redoutant
Que Jacques s’attache trop à moi,
L’ont mis pendant deux ans
En pension à Blois.
Quand il revint,
J’étais fiancée.
Il a gardé un air si chagrin
Que je me sentis tourmentée.
Le lendemain, en me levant
J’aperçus une enveloppe glissée
Sous le contrevent.
Je l’ouvris et lisais :
’’ Comme tu m’as abandonné
C’est ma mort que tu as ordonnée.
Viens me retrouver
Sous l’arbre où tu m’embrassais.’’
Je devenais folle. Je m’habillai,
Courus à l’endroit désigné,
Et levai les yeux.
Jacques s’était pendu.