La Religieuse [Diderot]

Publié le 18 janvier 2015 par Charlotte @ulostcontrol_
Hello !
Un long trajet m'a suffit pour dévorer le roman que je vais vous présenter aujourd'hui. Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre avant d'ouvrir ce livre, et j'en suis ressortie plus que réjouie : je vous présente La Religieuse de Denis Diderot !

Parce qu'elle est une enfant illégitime, Suzanne Simonin est enfermée par ses parents chez les religieuses de Longchamp où on la force à prononcer ses voeux. Pieuse et innocente, elle tombe sous la coupe d'une nonne illuminée déjà perdue de mysticisme avant de devenir la proie d'une mère supérieure qui va faire de sa réclusion un enfer. Harcelée, martyrisée, elle subit les pires sévices. Femme cloîtrée soumise à toutes les perversions de la vie monastique, Suzanne peut-elle échapper à la folie ?

Pour des raisons financières, les parents de Suzanne la contraignent à aller au couvent et à prononcer ses voeux. Insoumise, Suzanne s'y rend mais refuse de prononcer ses voeux : elle considère cette situation comme temporaire, chérissant l'idée de se marier elle-aussi, comme ses deux soeurs. Force est pourtant de constater l'inégalité entre Suzanne et ses soeurs et la volonté de ses parents de l'enfermer au couvent... En réalité, les motivation de ses parents sont bien différentes de ce qu'ils prétendent (et le lecteur les devinera bien vite). On va suivre alors Suzanne, tiraillée entre le devoir d'obéir à ses parents et la conviction de n'être pas appelée à la vie religieuse.
Diderot va nous décrire la vie de Suzanne à travers ses expérences dans trois couvents différents, nous proposant ainsi une peinture très critique et amère de la vie religieuse au XVIIIe siècle.
Cette histoire nous est racontée à la première personne du singulier. En effet, c'est Suzanne qui parle et qui raconte son histoire à un interlocuteur qui s'avèrera en réalité être son bienfaiteur. Sous la forme de mémoires, Suzanne nous raconte ainsi les événements qu'elle a traversés et vécus selon son propre point de vue.
Alors qu'on pourrait s'attendre à un récit plein de pathos dans lequel Suzanne se confie et nous expose ses peines, j'ai été surprise de voir en fait un texte très calme et posé, plein de recul et d'indulgence. Malgré toutes les épreuves qu'elle subit, le ton n'est jamais emphatique ni démesuré. Suzanne apparaît ainsi comme un personnage mature et réfléchi, loin de la rancune et de l'esprit de vengeance. Cette attitude miséricordieuse rend selon moi ce personnage très intéressant et complexe : face aux religieuses malhonnêtes, mauvaises et cruelles, Suzanne n'en est que plus humaine ; et même : c'est celle qui nous apparaît la plus pieuse, la plus à même de mener une vie religieuse ! Quel paradoxe, puisque c'est celle qui justement ne se sent pas appelée vers cette vie-là !
« De ce moment, je fus renfermée dans ma cellule ; on m'imposa le silence ; je fus séparée de tout le monde, abandonnée à moi-même ; et je vis clairement qu'on était résolu à disposer de moi sans moi. Je ne voulais point m'engager ; c'était un point décidé ; et toutes les terreurs vraies ou fausses qu'on me jetait sans cesse, ne m'ébranlaient pas. Cependant j'étais dans un état déplorable ; je ne savais point ce qu'il pouvait durer ; et s'il venait à cesser, je savais encore moins ce qui pouvait m'arriver. » p.55

La majeure partie du roman nous raconte ainsi la vie de Suzanne dans les trois couvents dans lesquels elle va vivre. L'occasion pour Diderot d'abattre les préjugés en nous montrant que la vie au couvent n'est pas nécessairement celle que l'on pense. Malgré la noblesse et la hauteur que l'on peut associer à la vie religieuse, la méchanceté y règne aussi en maître, comme en témoignent les différentes mères suppérieures que rencontre Suzanne : cette dernière est en effet victime de complots, de manipulations, de traitements infames et dégradants qui s'apparentent presque à de la torture...
L'expérience qu'elle vit dans le dernier couvent est selon moi la plus intéressante. Non seulement parce que cet événement dénote par rapport aux précédents mais aussi parce qu'il nous propose un nouveau regard sur l'église. Alors que Diderot a pointé du doigt cette institution depuis le début du roman et lors des deux premiers pensionnats de Suzanne, il nous propose finalement de relativiser notre jugement à l'occasion de cette dernière « péripétie » : l'église elle-même est finalement son pire ennemi.
Si on se prend facilement de pitié pour Suzanne et qu'on plaint la vie qu'elle subit, je dois reconnaître qu'elle a un côté très agaçant qui s'intensifie tout au long du roman. Son caractère rebelle est admirable en début de roman et on ne peut que cautionner ses actes, mais plus le roman avance et moins j'ai compris ses décisions. Certes, elle devient victime du système dans lequel elle vit, mais sa naïveté (surtout au troisième couvent) est exaspérante.

Au final, c'est un roman que j'ai beaucoup aimé découvrir. Je connaissais Diderot par l'intermédiaire des Lumières mais je n'avais jamais lu aucun de ces livres ; pour être honnête, je m'attendais à quelque chose d'assez indigeste et même ennuyant. J'étais bien loin du compte ! Le style de Diderot est très chouette et l'histoire de Suzanne est beaucoup plus intéressante qu'elle n'y paraît. Moi qui hésitait à lire Jacques le fataliste et son maître, j'en ai maintenant très envie.
Je vous le conseille sans hésiter. C'est un très bon classique, très intéressant pour en savoir plus sur l'esprit critique des Lumières et pour découvrir Diderot.
Avez-vous déjà lu La Religieuse ou un autre livre de Diderot ? N'hésitez pas à me conseiller d'autres auteurs du XVIIIe siècle qui vous ont plu :-)
*Ce livre fait partie du challenge "Lire des classiques"