3h12 du matin vendredi.
Je suis au volant direction vieux-port de Montréal. Je revisite mentalement ce rêve absolument bête que j'ai fait il y a à peine quelques heures.
Vous savez cette publicité de programme d'entrainement où on a tourné les images sur une période probablement d'un an avec une fille, puis dans une autre version, avec un gars ?
On nous les montre d'abord déprimés de leurs propres corps. Babounes. En train de se lever le matin ou de se regarder dans le miroir avec dédain. Sur un air de trompette de jazz fort intéressant mais qui trahit un certain blues. Puis...commence le refrain "PRENDS TON COURAGE À DEUX MAINS!...C't'a toi d'faire ton destin, donnes-toi une chance encore, 'faut que tu sortes de la brume..." (en version longue ici)...bon vous savez de quelle pub je cause. J'ai probablement trop vu cette pub récemment. Travaillant dans la traduction, je suis aussi un homme de mots. Je rêve donc quelques fois à des ânneries comme des tournures de phrases ou des conjugaisons compliquées. (Des rêves plates, je sais) . Ce rêve donc, étais un rêve de mots, planté dans la pub dont je vous parlais.
Mais au lieu de chanter "PRENDS TON COURAGE À DEUX MAINS!..." on chantait "PRENDS TON PÉNIS À DEUX MAINS!..." et la suite restait la même. J'écoutais la télé et je restais estomaqué de ce remplacement de mots. Je le faisais remarquer à l'amoureuse qui ne remarquait rien. Quand la pub repassait inexplicablement (c'est un rêve bien entendu) une seconde fois de suite, j'insistais pour lui faire remarquer:
"Écoute! écoute! il va chanter PÉNIS à la place de courage!" Et effectivement, on remplaçait bien le mot courage par le mot pénis. L'amoureuse n'avait aucune réaction. Ou enfin si elle avait une, je ne la remarquais pas. Je constatais toutefois que la pub avait un effet direct sur ma personne, et...je...prenais...c'était plus fort que moi...MON PÉNIS À DEUX MAINS!.
Je me suis réveillé en sursaut, les deux mains sur la douillette, en trouvant ce rêve d'une bêtise absolue. Je repensais à ce rêve en me disant que c'était des plans pour que j'entende pénis chaque fois qu'ils chanteront courage dans le futur, quand je reverrai la pub toxique.
Puis, en pensant coin Berri, l'UQAM sur ma droite, j'ai vu quelques 5 à 6 personnes qui faisaient le pied de grue devant La Maison de la Presse Internationale, porte voisine du Archambault sur le flanc gauche.
La semaine dernière j'avais tâté le terrain. Où à Montréal et dans ses environs allait-on publier l'édition nouvelle du Charlie Hebdo? La première post-barbarie? Je voulais faire ma part et m'en acheter une copie. Mais personne ne prenait de réservations nulle part. Personne ne savait en fait combien de copies ils recevraient exactement. Rendant l'idée de la réservation caduque. Je ne croyais pas que ça serait si difficile de me procurer une copie de Charlie Hebdo et j'en avais un peu fait mon deuil. Mais ne voyant ses gens qui voulaient être les premiers 3, à 4, à 5 heures avant l'ouverture, braver le froid polaire pour une bête copie à 6,50$, je reprenais vie.
La Maison de la Presse Internationale était l'un de ses endroits où on m'avait assuré qu'il y aurait des copies assurément. Et que ce serait premier arrivé, premier servi. Ces gens voulait leur copie.
Moi, qui n'avait aucune chance d'y être à l'ouverture, car je travaillerais à cette heure, j'avais en revanche l'expérience du secteur. Streetwise Jones. J'ai travaillé au magasin plus que centenaire Archambault au moins 86 ans. J'en connais tous les racoins. Je sais que les livraisons importantes arrivent par la ruelle arrière. Je sais aussi que pour les journaux, (Charlie Hebdo arrivera sous forme de journal), les livreurs les laissent sur le parvis de la porte de déchargement derrière, dans la ruelle. J'ai donc stationné ma voiture (Berri est agréablement facile à stationner à 3h26 du matin). Je suis débarqué et me suis glissé dans la ruelle arrière. Mais si Berri est facile à stationner, c'est qu'il y a très peu de circulation. Donc je ne suis pas passé inaperçu du tout. Ces gens attendaient au froid dans la nuit. Ils n'avaient rien à faire. Ils m'ont observé de bout en bout et quand je suis parti vers la ruelle, m'ont suivi. Suspicieux. Avec raison car il y avait bien une pile de Charlie Hebdo sur la parvis, mais pas plus que 10. Et me retournant vers le gueux qui me suivaient, j'ai pu constater qu'ils n'étaient pas 5 ou 6 mais plutôt 10 ou 12, peut-être quelque drogués du Parc Emilie-Gamelin parmi eux, Et qu'ils venaient de me passer dessus comme un rouleau compresseur et qu'une seule copie faisait danser la face de Mahomet sur la neige.
Tombé sur le cul, je reprenais mes sens quand un homme, un peu rond,, avec de grosses lunettes en buée, a saisi cette dernière copie d'une main, tandis que je faisais la même chose sur l'autre côté.
"mOnSiEuR!..." J'ai commencé.
"Madame!" m'a-t-il répondu, sans rapport avec rien.
"J'étais ici avant tout le monde, merde" j'ai ragé.
"Mais vous alliez le voler!" a-t-il complété.
"Et vous, vous ALLEZ le voler!"
"VOUS AUSSI!"
Cette conversation ne menait nulle part.
Comme je me jugeais plus mature que cet olibrius j'ai grogné:
"Je suis plus Charlie que vous!"
Argument massue qui n'avait que de juge et d'arbitre que moi.
"Je suis convaincu que vous n'avez même pas la foi en Jésus!" a-t-il renchéri.
Mais qu'est-ce que ça venait faire ici? C'était bien un intoxiqué! à Jésus! J'étais BIEN plus Charlie que oui en étant agnostique.
"Vous avez raison, je ne crois en aucune religion, donnez-moi cette copie!"
"Vous n'aviez jamais lu Charlie Hebdo auparavant j'en suis certain!"
"Peu importe! je venais ce matin rendre hommage à cet esprit de résistance face à ceux qui se considère intouchables!"
"Et vous vouliez faire ça en volant le Charlie Hebdo! quel courage, vraiment!" a-t-il dit, outré.
"Vous ne connaissez rien à propos du pénis." j'ai dit.
quoi?
"Vous ne connaissez rien à propos du pénis." j'ai répété.
Calever!
"Ça prend du pénis pour publier une telle édition et je venais acheter cette édition pleine de pénis!" j'ai continué, "C'est un hommage aux pénis d'une certaine France..." que j'ai commencé avant de perdre peu à peu la foi en mes propos.
"C'est alors le magazine Fugues que vous cherchiez, madame, a-t-il dit, ragaillardi, et c'est gratuit dans le village à quelques pas. Rendez-vous par là et vous y trouverez peut-être même quelques nouveaux amis" a-t-il conclu en m'arrachant la copie des mains une fois pour toute et en s'enfuyant. J'aurais pu le rattraper car non seulement il est tombé trois fois dans sa course (il était vraiment obèse), mais en se tournant pour voir si je le pourchassais, il n'a pas vu un poteau sur lequel il s,est buté et est à nouveau tombé sur le dos envoyant quelques feuilles du journal, ici et là. Mais je n'ai pas bougé. J'étais assommée par mon incapacité à parler de courage. Et la facilité avec laquelle, le mot pénis l'avait remplacé dans le dictionnaire de mon cerveau.
Je n'avais même pas bu!
Un punk du parc Émilie-Gamelin est venu me voir. J'étais assis dans le froid. Tétanisé comme si la moitié de mon crâne était exposée au froid de la nuit.
"T'en veux une shot?" le punk m'a tendu une flasque de je-ne-sais quoi. "ça réchauffe" a-t-il rajouté.
Du whisky! ostie mon drink en plus!
"Tks, dude!" je lui ai dit.
Aussi bien parler en anglais si maintenant mon français déraillait.
"Je t'ai entendu échanger tantôt...tu veux tu un petit quicky, je suis bottom" m'a-t-il ronronné.
"Ben non! je parlais de pénisCHRIST!"
J'ai déguerpi!
"Je m'appelle Charlie moi aussi!" J'ai entendu au loin.
Fuck Charlie!
Enfin non, justement...
Cibwère!
Vendredi de marde.
NON! aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaargh!