Depuis plusieurs jours, les débats autour des attentats de Charlie Hebdo prennent à mon sens un tournant inquiétant. En effet, médias et politiques ont décidé de pointer du doigt l’école, la banlieue et la jeunesse. C’est la multiplication des incidents dans les établissements scolaires autour de la tuerie qui est à l’origine de cette polémique. L’Éducation nationale en a recensé plus de 200 (pour près de 12,7 millions d’élèves…). Depuis, les réactions d’enseignants, d’élèves et d’élus se multiplient, emportant avec elles leur lot d’exagérations, d’aberrations et surtout de stigmatisation. Professeur d’Histoire-Géographie et d’Éducation civique dans un collège de banlieue en Seine-Saint-Denis, j’ai pour ma part un regard complètement différent sur ces événements.
Au lendemain des attentats du 7 janvier, l’ambiance en salle des professeurs était tendue. Nombreux étaient les enseignants inquiets à l’idée de ne pas savoir comment trouver les mots pour répondre aux interrogations et aux propos de leurs élèves. Certains étaient quant à eux persuadés que les débats allaient mal tourner. Et dans leur cours, ça n’a pas raté…
Pour ma part, j’ai choisi d’échanger avec l’ensemble des classes que j’ai eu ce jour. Les élèves en avaient besoin et moi aussi. Certains ont-ils tenu des propos déplacés voir même choquants ? Oui. Cependant, s’en tenir à cela est à mon sens se rendre coupable d’une faute, non seulement en tant qu’enseignant mais surtout en tant qu’éducateur.
Prendre pour argent comptant des propos tenus par des adolescents, bien souvent en manque de repères, est faire preuve d’un aveuglement confondant. Les mêmes qui ont été capables de dire que Charlie Hebdo l’avait bien cherché, sont ceux qui nous affirment que les frères Bogdanov sont des philosophes des Lumières (véridique) ou encore que Jean Jaurès a lui-même construit le lycée qui porte son nom…
Nous sommes tous dépassés par les événements de ces derniers jours. Ce n’est facile pour personne d’en parler. Ceci d’autant plus, lorsque comme bon nombre de nos élèves, on ne possède que trop peu d’esprit critique et on peine à prendre du recul. Si des propos justifiant ou banalisant un acte terroriste ne peuvent être acceptés, il est essentiel de faire preuve de pédagogie, d’expliquer, de remettre les choses dans leur contexte et surtout de placer chacun face à ses propres contradictions.
D’ailleurs, après quelques minutes de réflexion et les interventions de leurs camarades, la plupart des élèves ayant « dérapés » sont revenus sur leurs propos. Je regrette que par leurs témoignages des enseignants aient alimenté la polémique en tombant dans le panneau de médias en mal de sensations. Il est à l’évidence plus simple de faire le buzz en étalant sur internet les inepties des uns et des autres que de tenter de les analyser, de les expliquer, de les comprendre.
J’ai pour ma part entendu beaucoup de colère dans les propos de mes élèves. Contre les terroristes tout d’abord : « L’islam est une religion de paix, jamais elle ne dit qu’il faut massacrer des gens, ils vont en enfer ceux qui font ça ! ». Contre les médias ensuite : « Pourquoi c’est toujours nous les méchants ? Pourquoi dès qu’on voit des musulmans à la télé c’est des terroristes ? ».
Mais aussi contre Charlie Hebdo : « Quand ils disent dans une caricature que le Coran c’est de la merde, ils ne s’attaquent pas aux terroristes mais à tous les musulmans » (en référence à une caricature de Riss datant de juillet 2013). Nous avons ensuite passé beaucoup de temps à évoquer le droit de critiquer, de rire, de blasphémer, à rappeler que la religion est une affaire personnelle et que des croyances ne peuvent être imposées à tous. D’où justement l’intérêt et la force de la laïcité.
La question de l’islamophobie a ensuite beaucoup alimenté nos échanges : « Pourquoi quand des femmes voilées se font agressées, tout le monde s’en fout ? ». « Pourquoi à la télé on laisse des gens nous insulter ? ». Tout est dit… Tant que nous laisserons des Zemmour, des Rioufol (1), des Tesson (2), exprimer leur haine de l’islam et des musulmans, matin, midi et soir, à la radio, dans les journaux comme à la télé, nos élèves ne pourront entendre que se moquer des religions est un droit.
Les responsables de cette incapacité de leur part à prendre du recul, à comprendre le sens de la liberté d’expression, de la laïcité, de la République, sont ceux qui alimentent quotidiennement les tensions avec leurs propos haineux, leurs provocations. Et on ose nous dire que c’est l’école qui a failli…
Non, le problème ce n’est pas l’école, c’est le système. Ce système qui ghettoïse, qui favorise la ségrégation sociale, territoriale et la relégation culturelle. Quelles réponses nous propose notre classe politique ? Revoir les programmes d’Éducation civique… Cela nous fera une belle jambe ! « Supprimer les allocations familiales aux parents des élèves qui n’ont pas respecté la minute de silence » (Eric Ciotti). Qui dit mieux ?
Encore une fois, nous avons tout faux. Incapables de comprendre la jeunesse des quartiers populaires nous ne faisons que la stigmatiser encore et encore en lui donnant comme toujours le mauvais rôle. Comme-ci les terribles événements de la semaine passée n’avaient pas déjà fait assez de dégâts…
(1) « Il faut que tous les français musulmans, qui bien évidemment ne se reconnaissent pas dans cet attentat aillent manifester (…) Je les somme de bien nous faire comprendre qu’ils n’y adhèrent pas ».
(2) « C’est les musulmans qui amènent la merde en France aujourd’hui ! ».