Magazine Culture

Faut-il se faire désirer ?

Publié le 17 janvier 2015 par Dubruel

d'après CRI D’ALARME de Maupassant

Il y a deux ans,

Elle avait épousé

Le marquis de Balan.

Et moi, je lui avais fait

Suffisamment longtemps la cour

Pour obtenir son amour,

La semaine passée.

Elle voulut diner chez moi.

Mais n’être servie que par moi,

Sans témoin ni valet

Car elle voulait… se saouler.

Comme une lady ne doit se griser

Qu’au champagne rosé,

Je lui ai servi un Dom Perignon

Cuvée cinquante-trois

Avec des huitres de Belon,

Un paté de foie gras

Et quelques friandises sucrées.

Elle me fit des confidences

Sur son adolescence.

Je l’observais : elle buvait.

Coupe après coupe, elle buvait !

Le regard à peine voilé,

Mais la langue bien déliée,

Ses idées se dévidaient.

Parfois, elle me demandait

Avec papelardise :

-« Suis-je grise ? »

-« Non, tu n’en as pas l’air. »

Alors elle prenait un autre verre.

Après sa vie de jeune fille,

Suivit celle de sa famille.

Elle me répéta cent fois :

« Je peux tout te dire, à toi…»

Ainsi, j’ai appris les manies, les goûts,

Les défauts et les secrets de son époux.

-« Ah ! Il m’a rasée, lui !

Puis je t’ai rencontré.

Je me suis dit :

’’Cet homme-là est charmant,

Je le prendrais bien comme amant !

Tu as commencé à me courtiser

Mais que tu étais lambin, grand sot !

Tu ne comprenais rien, idiot !

Tu n’avais qu’à regarder mes yeux !

Ils te disaient ’’oui’’ !

Tu ne savais pas t’y prendre, pauvre vieux !

Ah ! Je t’ai attendu, mon cher Louis !

J’étais pressée et sacrément !

Et toi : des fleurs, des compliments…

Tu fus si long à te prononcer.

Que j’ai failli renoncer.

----------------------------

Quelque temps plus tard,

Je me suis trouvé par hasard,

Seul avec une amie, Jeanne Mairesse.

Je me suis rappelé

Les conseils de ma maîtresse

Et j’ai tenté de les expérimenter :

-« Comme vous êtes jolie, ce soir. »

-« C’est donc une exception, ce soir ? »

-« Non, mais je n’ose vous en parler…»

-« Est-ce si malaisé

De dire à une femme qu’elle est jolie ?

Auriez-vous peur d’être impoli ? »

Tout à coup, animé

D’une audace insensée,

J’ai voulu lui donner un baiser.

Elle a reculé :

-« Vous manquez de tact. C’est trop…

Vous allez trop vite ! Oh !

Bonsoir, monsieur.»

Je m’en allais, honteux.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Dubruel 73 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine