Cela faisait quelques petits mois, que nous attendions avec impatience ce défilé événement. Non seulement il marquait le retour sur le devant de la scène mode de John Galliano, après quatre années d’absence, mais il signait aussi un changement qui se présageait radical pour la discrète maison de mode parisienne. John Galliano et Maison Martin Margiela, certains s’insurgeaient déjà de ce mariage de la carpe et du lapin parlant de dénaturation de l’une des marques ayant fondé les bases d’une certaine conceptualisation du vêtement, proche de ce que pu être l’Arte Povera en son temps, par l’un des couturiers les plus flamboyant de notre époque ; plus connu pour son sens du costume et de l’historicisation que pour son épure. D’autres inversement comprenaient le lien entre les deux opposés, un sens du détail soigné, de la coupe du vêtement toujours impeccable. Et les dernières apparitions publiques du créateur, cheveux tirés en arrière et costume croisé impeccable, digne des meilleurs tailleurs de Savile Row semblaient vouloir dire : « J’ai changé, faites moi confiance ».
© John Galliano - 2014
Et la confiance c’est bien ce qui lui a accordé Renzo Rosso, fondateur du groupe Only The Brave (OTB) propriétaire de la marque Martin Margiela depuis la vente à celui ci de la maison par son fondateur éponyme. Et quand enfin Maison Martin Margiela annonce que le premier défilé du créateur britannique pour la collection Artisanale aura lieu à Londres durant la Fashion Week Homme, c’est carrément un tremblement de terre qui secoue la scène mode et qui entrainera l’exclusion « temporaire » de la Maison du calendrier officiel de la couture parisienne – Chocking !
Impatient de découvrir le résultat de cette première réécriture de la marque nous avons regardés religieusement les looks présentés le 12 janvier et le résultat ne nous a pas déçu.
Étonnantes silhouettes, ou il est possible sur chacun d’entre eles de décrypter les différents éléments composant le look et reconnaître quid de John ou du Studio Margiela a servi de moteur de création.
© Maison Margiela - Collection Artisanale - Été 2015
Vestes d’inspiration courtisanes, chères à Galliano, déconstruites, associées à des body en tulle et lycra chair, signature MMM ; fourrures et éléments graphiques, l’aristocrate anglaise ayant servie tant de fois d’inspiration au créateur britannique est toujours présente, mais avec quelque chose d’infiniment plus edgy. Edgy, sombre, voir presque avec quelques accents néo gothiques, vêtue de noir ou d’une profusion de rouge vif, intense, sanguin, quasi menaçant.
© Maison Margiela - Collection Artisanale
© Maison Margiela - Collection Artisanale
© Maison Margiela - Collection Artisanale
© Maison Margiela - Collection Artisanale
© Maison Margiela - Collection Artisanale
Menaçant tout comme les visages incroyables de taille XLsculptés dans la matière sur des robes anthropomorphes, composées de petites voitures ou de coquillages brodées que l’on ne sait réellement comment interpréter dans un premier temps tant la surprise est grande. Tel un Arcimboldo des temps moderne, Galliano compose à partir d’éléments éclectiques, dans la trame même du vêtement des visages, plus ou moins précis, plus ou moins clair, des apparitions quasi fantomatiques (et pourquoi pas psychanalytiques), souvenirs obscurs d’une période révolue, exorcisés à grand coup de ciseau dans le satin et le tulle. Ou peut être est-ce tout simplement une métaphore des figures artistiques des silhouettes de la ligne Artisanale de MMM capturées à un instant T dans des tableaux vivants vibrants sur le podium.
© Maison Margiela - Collection Artisanale
© Maison Margiela - Collection Artisanale
© Maison Margiela - Collection Artisanale
Enorme coup de cœur pour les deux sublimes manteaux des looks 3 et 4, pièces incroyables alliant la richesse des broderies or des costumes des 16èmeet 17ème siècle flamand (clin d’œil à l’école belge sans doute), la profondeur des velours noir, à la modernité 60’s d’une poche plaquée en vinyle transparent et à une explosion de tulle chair sur l’arrière du modèle – douce folie !
© Maison Margiela - Collection Artisanale
© Maison Margiela - Collection Artisanale
Tout comme la pièce maitresse de collection ; mariée rouge et or, extraordinaire, digne des plus belles « Précieuses et Ridicules », le visage caché du célèbre masque bijou de la maison – incroyable.
© Maison Margiela - Collection Artisanale - Été 2015
© Maison Margiela - Collection Artisanale - Été 2015
© Maison Margiela - Collection Artisanale - Été 2015
Manteaux longs sublimes, robes longilignes fluides aux coupes impeccable, décolletés dos vertigineux et talons compensés insensés ; l’univers baroque de Galliano s’est assombrit, mais certaines touches, dans le maquillage et les coiffures, clin d’œil aux années 20, affichent bien la présence du créateur et nous font penser à un éveil progressif de celui-ci, collection après collection. Attention cependant à ne pas trop laisser le Galliano déborder et le Margiela s’effacer. Mais il ne semble pas cependant que cela soit le message véhiculé lors du final du défilé, ou l’on entraperçoit un John Galliano plus discret que jamais arborer la fameuse blouse blanche de l’atelier Margiela, se fondant totalement dans l’esprit de la maison. Rendez vous nous est ainsi donné en mars, pour découvrir la première collection de prêt-à-porter dessinée par John Galliano et donnant sans doute de façon plus précise la nouvelle direction dans laquelle se dirigera à l’avenir Maison Margiela.
© Maison Margiela - Collection Artisanale - Été 2015
Car justement, c’est là déjà que la différence se fait. MMM devient MM et perds son prénom. Après que Yves Saint Laurent soit devenu Saint Laurent, Maison Martin Margiela devient donc Maison Margiela. J’entends déjà les puristes s’insurgeant, criant au scandale. Certes, la maison historique devient une marque, et l’idée est de l’internationaliser et de la faire sortir de son aspect confidentiel. Aspect qu’elle n’avait déjà plus depuis longtemps (après tout lorsque l’on habille Kanye West et Kim Kardashian – prononcer les initiales KK en phonétique, c’est plus savoureux – l’on a déjà volontairement perdu l’âme de Martin depuis un petit moment !). Clairement, contrairement aux rageux, je ne crierai pas au loup cette fois-ci. La Mode est devenue au fil des années une industrie, et le jeu des chaises musicales est la technique des grands groupes pour essayer de dynamiser des griffes parfois moribondes et d’essayer de vendre des sacs et des sweaters par milliers à des millions de nouveaux riches asiatiques assoiffés de consommation, et qui ne sont franchement pas intéressés par la culture et l’histoire d’une maison (c’est triste je sais, mais c’est la réalité actuelle). Et après tout, lorsque Martin lui même décide de vendre sa propre marque au groupe Diesel il y a plus de 10 ans et quitte la direction artistique de celle-ci, tout était dit me semble-t-il depuis bien longtemps. Ainsi donc, longue vie à la nouvelle Maison Margiela et à son nouveau directeur artistique John Galliano !
A.