L’île aux femmes, de Zanzim, chez Glénat
Pour ce troisième samedi du mois de janvier, Case Départ vous propose sa belle sélection de la semaine. En vous ouvrant sa bibliothèque, le blog met en lumière de très bonnes bandes dessinées. Nous passons au crible, les albums suivants : 6000 : le formidable manga édité par Komikku, entre angoisse et horreur, L’île aux femmes : une fable fantaisiste de Zanzim où les femmes ont le pouvoir, la réédition du magnifique Daredevil de Frank Miller, le nouvel album d’Asaf Hanuka : Le devin, l’adaptation dessinée du roman d’Irène Némirovsky, Suite française par Emmanuel Moynot, un manga ésotérique publié par Sarbacane : Saru, Ulysse 1781 : une transposition du mythe d’Homère dans les Etats-Unis du 18e siècle et La Malédiction de Rascar Capac : un ouvrage qui décrypte l’album de Tintin, Les 7 boules de Cristal. Bonnes lectures.
6000
Les éditions Komikku ont eu le nez creux en récupérant la licence de l’excellent 6000, un manga de Nokuto Koike. Prévue en quatre tomes, cette série plonge le lecteur dans une abîme à -6000 m de profondeur dans une station immergée entre suspens et horreur. Une petite pépite !Résumé de l’éditeur : Kengo Kadokura est un ingénieur envoyé en mission dans une infrastructure en haute profondeur, là où très peu d’hommes ont mis les pieds. À peine arrivé dans ce complexe sous-marin, à 6000 mètres sous le niveau de la mer, les choses étranges s’enchaînent et se déchaînent à une vitesse vertigineuse. Alors qu’il est là pour permettre à la station d’être réhabilitée suite à des événements dont on ne sait que peu de choses, rien ne semble se passer comme prévu.
Dans ce premier volet, Nokuto Koike happe tout de suite le lecteur grâce à un récit accrocheur dans ce thriller angoissant. L’ambiance de confinement et de promiscuité est exacerbé par le huis-clos dans ce complexe sous-marin à -6000m de profondeur. Dans le Cofdeece, station sous-marine, les sentiments éprouvés par les personnages sont démultipliés. Ce lieu étrange, laissé à l’abandon pendant trois années, renaît avec beaucoup de questions et de difficultés. Racheté par une entreprise chinoise, cet ancien complexe japonais aurait subi un grave incident. Pour ce premier volume, le mangaka distille avec une grande habileté et parcimonie, des éléments de compréhension concernant cet accident.Kengo, jeune ingénieur japonais, navigue entre envie et peur, entre certitudes et questionnements. Autour de lui, les autres personnes ont des comportements étranges : le directeur du site, être froid et mystérieux, Monsieur Danzaki à l’étrange blessure, Mademoiselle Kusakabe au passé trouble. A cela s’ajoute des visions de squelettes, de personnes disparues, une sorte de forêt magique au centre du complexe et l’on obtient un formidable récit. Les éléments (des apparitions) s’enchaînent à grande vitesse et le héros semble pris dans un tourbillon qui le fait chavirer dans univers terrifiant.
Nokuto Koike possède un trait d’une grande force graphique. Son dessin, un peu charbonneux fait de tramages et de frottements, est parfait pour restituer l’ambiance de tension et de suspens. A la fois lumineux pour les visages et très sombre pour les revenants.
En espérant que le suspens parfaitement dosé dans ce premier tome soit aussi prenant dans les trois volumes suivants. 6000 : un formidable manga à découvrir !
- 6000, volume 1/4
- Auteur : Nokuto Koike
- Editeur: Komikku
- Prix: 7.90€
- Sortie: 15 janvier 2015
L’île aux femmes
En 1915, Céleste Bompard, as du pilotage, s’échoue sur une île gouvernée par des femmes, honnissant les hommes. Cette fable fantaisiste est mise en scène par Zanzim dans le bel album L’île aux femmes, édité par Glénat.Résumé de l’éditeur : Céleste Bompard est un « Coq en l’air », un as de la voltige. Ses prouesses lui valent un large succès auprès de la gent féminine. Il aligne les conquêtes. Engagé alors que la Grande Guerre éclate, il est chargé de transporter les lettres que les soldats du front écrivent à leurs femmes. Mais lors d’une mission, Céleste est victime d’un tir ennemi et son biplan se crashe sur une île mystérieuse. Obligé de survivre dans cet endroit visiblement désert, il trompe son ennui en lisant les lettres que les poilus destinent à leurs femmes. Un jour, en parcourant les lieux, il découvre un jardin d’Éden entièrement peuplé de femmes ! De véritables amazones, aussi belles que redoutables, qui ne tardent pas à le capturer pour remplacer leur » reproducteur » actuel. Alors qu’il avait l’habitude de mener la danse avec les femmes, voilà que Céleste est devenu leur esclave !Le récit de Zanzim est une très belle fable fantaisiste et rafraîchissante. L’auteur de Ma vie posthume (avec Hubert, Glénat) met en scène Céleste, comme une sorte de Robinson Crusoë ou Tom Hanks dans Seul au monde. Mais le premier paradoxe de ce coureur de jupons est de se retrouver dans une société inversée. En effet, au début du 20e siècle (comme cela peut être encore le cas parfois actuellement), le pouvoir politique et professionnel est détenu exclusivement par les hommes. Mais pour son histoire, cette fois-ci, ce sont les femmes qui ont tous les pouvoirs sur ce coin de paradis. Comme chez les Amazones de la mythologie grecque, les hommes ne servent uniquement qu’à la reproduction. Une drôle de gageur pour Céleste est ses multiples conquêtes qui ne lui servent qu’à son plaisir. Dans cette société matriarcale, la misandrie est donc le moteur du village. Cet ouvrage est donc aussi un manifeste contre les préjugés sexistes qui perdurent encore de nos jours.Les hommages sont nombreux dans cet album, en plus de Dafoe, Zanzim fait un clin d’œil à Tintin : le bûcher où se trouve Céleste ressemble à celui du Temple du Soleil et la vieille femme qui crie à sa mort ressemble au prédicateur fou de l’Etoile mystérieuse. De plus, l’auteur fait aussi l’éloge de la poésie et aux pouvoirs de la littérature à travers les lettres écrites par les femmes à leurs maris partis au front.
L’humour n’est pas absent de L’île aux femmes, notamment le fait que Céleste soit seul, entouré exclusivement de femmes, mais aussi par la rivalité entre le pilote et le vieil homme unijambiste, seul homme reproducteur du village.
Le dessin faussement naïf de Zanzim est d’un grande clarté et très vif. Le corps élancé et le gros nez de Céleste s’oppose malicieusement aux corps dénudés et voluptueux des femmes.
- L’île aux femmes
- Auteur : Zanzim
- Editeur: Glénat, collection 1000 feuilles
- Prix: 19.50€
- Sortie: 14 janvier 2015
Daredevil
La collection Marvel Icons des éditions Panini Comics dévoile une magnifique intégrale de Daredevil. Pour ce premier tome, le recueil d’histoires de Frank Miller et Klaus Janson contient les épisodes 168 à 181, Marvel Team Annual #4 et What if… ? #28, parus initialement en 1981.
Cet album est nominé dans la Sélection Patrimoine d’Angoulême 2015.
Retrouvez la fin de la chronique sur Comixtrip, en cliquant ici.
- Daredevil, intégrale tome 1
- Auteur : Frank Miller
- Editeur: Panini, collection Marvel Icons
- Prix: 35.50€
- Sortie: 20 août 2014
Le divin
Après le très bon KO à Tel Aviv (nominé dans la Sélection Officielle d’Angoulême 2015), Asaf Hanuka revient avec Le divin. L’auteur, associé à Tomer Hanuka et Boaz Lavie, propose la drôle de rencontre entre un artificier et une bande d’enfants-soldats, quelque part en Asie du Sud. Cette très belle fable fantastique est publiée par Dargaud.Résumé de l’éditeur : Mark, spécialiste américain en explosifs, accepte un job dans un pays d’Asie du Sud-Est pour le compte de la CIA. De l’argent facile. Mais il se retrouve embarqué dans une guérilla improbable et surréaliste entre l’armée locale, aidée par son collègue américain, et une bande de gamins, menée par deux jumeaux appelés « le Divin » à cause de leurs pouvoirs surnaturels. Cette plongée en enfer est basée sur une histoire vraie, celle de la God’s Army, qui se déroula en Thaïlande et en Birmanie.
Le récit de Boaz Lavie est construit comme un conte où le fantastique prend un place centrale. Comme dans toutes les fables, les auteurs mettent en lumière des éléments de nos sociétés contemporaines pour mieux les dénoncer. Ici, l’auteur fustige la prédominance des occidentaux (par les entreprises) sur les populations locales (Asie du Sud-Est), les méthodes peu orthodoxes des ces dernières (faire exploser un montagne à coups de dollars), la mise en danger de la nature (recul par la surexploitation), l’exil forcé des populations, mais aussi les enfants-soldats. Pour étayer son propos, il met en scène des personnages aux vies diamétralement opposées : Mark, citadin américain, vivant en couple et futur papa et de l’autre la demi-douzaine d’enfants, vivant dans la forêt, prenant leurs armes pour se défendre, ayant grandi plus vite que la vie le voudrait, animistes et dotés de pouvoirs magiques. Leurs croyances (entre catholicisme et paganisme) apportent le côté magique à l’histoire. C’est pour protéger leur divinité qu’ils ne veulent pas que son antre soit détruite.Il s’est inspiré d’une photo prise à la fin des années 90 montrant deux frères jumeaux de 12 ans (Johnny et Luther Htoo) qui auraient possédé des pouvoirs hors du commun et les auraient utilisé pour combattre le pouvoir birman.Le trait réaliste de Tomer et Asaf Hanuka leur permettent de livrer des planches d’une grande efficacité et très percutantes. Composées de grandes cases, les pages présentent des visages très expressifs réhaussées de couleurs qui souvent tranchent avec le propos. Les double-pages ou les illustrations en pleine page sont d’une belle puissance graphique.
- Le divin
- Scénariste : Boaz Lavie
- Dessinateurs : Tomer et Asaf Hanuka
- Editeur: Dargaud
- Prix: 20.90€
- Sortie: 09 janvier 2015
Suite française
En 1940, les troupes allemandes se font de plus en plus pressentes. Plus elles avancent sur le territoire français, plus les habitants, acculés, doivent partir, en laissant tout derrière eux. Cet exode est raconté dans le très bel album d’Emmanuel Moynot, Suite française. Dans sa bande dessinée, le lecteur suit les pérégrinations de plusieurs familles en fuite. Cet ouvrage est l’adaptation dessinée du roman d’Irène Némirovsky, publié par Denoël.Retrouvez la fin de la chronique sur Comixtrip, en cliquant ici.
- Suite française, tempête en juin
- Auteur : Emmanuel Moynot d’après Irène Némirovsky
- Editeur: Denoël Graphic
- Prix: 23.50 euros
- Parution: 8 janvier 2015
Saru
Après Les enfants de la Mer (Sarbacane), l’éditeur français propose une nouvelle histoire de Daisuke Igarashi, Saru. Cette intrigue ésotérico-fantastique plonge le lecteur dans une histoire entre prophéties de Nostradamus et légendes chinoises.Résumé de l’éditeur : Après sa formidable série en 5 tomes, Les Enfants de la mer (éditions Sarbacane), Daisuke Igarashi nous enchante de nouveau avec Saru. Dans ce beau et volumineux manga (450 pages), il change néanmoins de registre : l’histoire mêle ici une prophétie de Nostradamus et d’anciennes légendes chinoises liées au roi Singe. On retrouve la veine ésotérique qu’Igarashi avait explorée avec Sorcières (Casterman), mais dans un cadre à grand spectacle (et où une partie de l’action se passe – clin d’œil de l’auteur – dans la capitale mondiale de la bande dessinée : Angoulême !).
Les deux personnages principaux, une jeune fille japonaise et un garçon du Boutan, portent avec force ce fascinant récit apocalyptique…
Nana, étudiante japonaise, Nawang, qui arrive du Bouthan et Candido, prêtre exorciste, accompagnent alors Irène jusqu’en Afghanistan. Le récit prend alors la dimension d’une quête d’aventure pour percer les mystères du Roi Singe. De plus, le manga nous fait voyager aux quatre coins du monde et fait un beau clin d’œil à Angoulême, la capitale de la bande dessinée : des forces telluriques seraient enfouies sous la cité et seraient prêtes à se réveiller.
L’auteur de Sorcières (Sakka, 2006, Prix d’excellence du Japan Media Arts Festival) arrive merveilleusement bien à tenir en haleine son lecteur grâce à un scénario fou et puissant. Comme dans ses mangas précédents, il utilise un trait réaliste et dynamique pour cette histoire. Vif et composé de fines hachures, son dessin singulier électrise et envoûte le lecteur.
- Saru
- Auteur : Daisuke Igarashi
- Editeur: Sarbacane
- Prix: 17.90€
- Sortie: 07 janvier 2015
Ulysse 1781
Xavier Dorison ose le parti très risqué de transposer l’Odyssée (l’œuvre d’Homère) dans les Etats-Unis du 18e siècle, juste après la Guerre d’Indépendance. Aidé par Eric Herenguel, il revisite librement l’épopée homérique par l’entremise de l’aventure extraordinaire d’Ulysse Mc Hendricks et de ses hommes à bord de son navire tracté par des chevaux sur la terre ferme. Cette histoire est contée dans le premier tome d’Ulysse 1781, intitulé Le cyclope.Résumé de l’éditeur : 1781, Yorktown. La guerre d’indépendance américaine touche à sa fin. Victorieux, le fier capitaine Ulysse Mc Hendricks s’apprête à rentrer chez lui avec son fils Mack et ses hommes. Mais le retour se précipite lorsqu’il apprend que sa ville, New Itakee, est envahie par une compagnie d’infanterie anglaise. Sa femme, Penn, a été faite otage… Ça vous rappelle quelque chose ? Évidemment !Quelle drôle d’idée ! Comment Xavier Dorison a-t-il eu l’esprit de transposer l’Odyssée d’Homère dans les Etats-Unis du 18e siècle ? Nous connaissons beaucoup d’adaptations libres de cet œuvre mais pas à cette période. Le récit du prolifique scénariste est à la fois ingénieux mais aussi assez ardu. L’histoire complexe, mais d’une grande aisance narrative, peut déstabiliser le lecteur dans ses premières pages ; surtout que le rapprochement avec le récit homérique n’est pas évident au premier abord. Pour cela, il fonde son scénario sur Ulysse Mc Hendricks, homme à forte personnalité, combattant hors-pair, vrai chef de groupe, d’une grande intelligence mais fortement orgueilleux. Son héros est opposé à tous points à son fils Mark, timide, lettré et qui ne souhaite jamais se battre. Le grand défi du capitaine est de rejoindre New Itakee (tel Ithaque chez Homère), territoire indien, par bateau. Afin de gagner du temps sur son itinéraire, il pose son navire sur des suspensions en fer tirées par des chevaux et emprunte ainsi les chemins de terre. Cette drôle d’Odyssée ne se déroulera pas facilement. Accompagné de ses hommes, il fera face aux Iroquois mais aussi à une cyclope.
Prévue en diptyque, l’histoire est mise en scène par Eric Hérenguel. Son trait réaliste est d’une belle efficacité. Il faut dire qu’il a beaucoup de talent pour croquer les sales trognes des personnages comme il nous l’avait démontré dans Krän (Vents d’Ouest).
- Ulysse 1781, tome 1/2 : Le cyclope
- Scénariste : Xavier Dorison
- Dessinateur : Eric Hérenguel
- Editeur: Delcourt, collection Conquistador
- Prix: 14.95€
- Sortie: 07 janvier 2015
La Malédiction de Rascar Capac
Les 7 boules de cristal est un épisode mythique des aventures de Tintin. Couplé avec Le temple du soleil, il fut publié entre décembre 1943 et août 1944 dans le quotidien belge Le Soir. Philippe Goddin, spécialiste du célèbre reporter, livre ici des détails et des anecdotes sur cet album afin de mieux appréhender l’œuvre d’Hergé dans un magnifique livre La Malédiction de Rascar Capac, édité par Casterman.Retrouvez la fin de la chronique sur Comixtrip, en cliquant ici.
- La Malédiction de Rascar Capac, tome 1 : Le mystère des boules de cristal
- Recherches et commentaires : Philippe Goddin
- Editeur: Casterman et Moulinsart
- Prix: 20 euros
- Parution: 12 mars 2014