Depuis le 11 septembre 2011, les actes insensés des
fondamentalistes islamiques se succèdent : Londres, Madrid, Paris, Moscou,
etc. Bien sûr, nous ne devons pas laisser faire, mais nous devons aussi veiller
à ne pas laisser la peur nous imposer des politiques liberticides. Le renforcement
irréfléchi des pouvoirs de l’État est une solution facile, qui rassure, mais
qui recèle des dangers autrement plus néfastes : la perte de notre liberté.
Il est plus que jamais important de se rappeler les paroles
que Benjamin Franklin prononça en 1759: « Ceux qui troquent leur liberté en
échange d’une sécurité temporaire ne méritent ni la liberté ni la sécurité. » (They that can give up essential
liberty to obtain a little temporary safety deserve neither liberty nor
safety.)
La peur, source de
pouvoir
La peur est une émotion causée par un danger réel ou imaginaire.
Elle est programmée dans notre code génétique parce qu’essentielle à la survie
de l’espèce humaine. Elle nous permet de rapidement identifier les dangers qui
menacent notre bien-être et parfois nos vies. Elle nous protège en nous
obligeant à évaluer la situation à laquelle nous sommes confrontés et à choisir
le meilleur moyen de se protéger. Si nous ignorons la peur, nous nous exposons
à des dangers dont les conséquences peuvent être dramatiques.
Les politiciens, mieux que tout autre, comprennent cette caractéristique
fondamentale de l’être humain. Ils la cultivent et l’exploitent à satiété. Que
ce soit un État impérialiste, comme les États-Unis, ou un État-providence,
comme la France ou le Québec, l’un et l’autre exploitent la peur pour dominer
leur population. S’il est vrai que les démocraties modernes dépendent de
l’opinion publique, il est aussi vrai que celle-ci est largement dictée par la
peur.
Machiavel a très bien exprimé ce principe: « Puisque l’amour et la peur peuvent
difficilement coexister, si nous devons choisir, il est préférable d’être
craint que d’être aimé. »
Un rappel historique
Les premiers gouvernements se sont imposés par la guerre et
la conquête. Les vaincus qui n’avaient pas été exécutés ou vendus comme
esclaves devaient payer un tribut aux vainqueurs. Au moindre signe de
rébellion, les vainqueurs menaçaient de confisquer les biens des conquis et de
les réduire à l’esclavage. Dans ce contexte, le paiement d’un tribut était un
moindre mal. Ainsi apparurent les premiers régimes d’impôts.
Ces régimes s’apparentaient plus à l’esclavage qu’à un système de taxe
équitable. Le moindre signe de faiblesse de la part des conquérants se soldait
par la révolte des conquis. Faute de pouvoir reprendre leur liberté, ils
redoublaient d’ingéniosité pour se soustraire aux exactions du gouvernement.
Ainsi, le maintien du gouvernement par la force était une entreprise coûteuse
qui donnait rarement les résultats escomptés.
Éventuellement, les gouvernements s’allièrent au pouvoir religieux. Les
représentants religieux détenaient un pouvoir considérable. De connivence avec
les pouvoirs politiques, ils dictaient les comportements acceptables –
obéissance et soumission – pour s’assurer une place privilégiée dans l’au-delà.
Ainsi, le pouvoir politique menaçait la sécurité et la vie des gens sur terre
et le pouvoir religieux menaçait leur bien-être dans l’au-delà. Le cumul de ces
pouvoirs constituait une force beaucoup plus considérable que ces mêmes
pouvoirs opérant séparément. Ce stratagème est toujours utilisé dans les États
islamiques.
Avec le temps et l’éducation des populations, l’utilisation
de la peur à des fins politiques s’est raffinée. Les politiciens se sont arrogé
le rôle de protecteur du citoyen. Le mandat du gouvernement devient celui
de protéger la population contre les dangers réels et imaginaires. Celui-ci n’a
plus le choix: il est protégé de gré ou de force et contre lui-même si
nécessaire.
Gestion de la peur
L’utilisation de la peur comme moyen de contrôle des
populations doit s’adapter aux réalités changeantes des époques et des
sociétés.
L’effet de la peur s’amenuise avec le temps. À moins que les catastrophes
annoncées se matérialisent, le doute s’installe rapidement. Le gouvernement
doit posséder un inventaire toujours renouvelé de dangers pouvant raviver la
peur dans la population. Le choix est illimité.
Les médias véhiculent avec enthousiasme la peur. Elle se prête bien aux grands
titres spectaculaires qui moussent les ventes. Le leitmotiv des journaux et des
bulletins de nouvelles semble être: à chaque jour sa peur. La population est
maintenue dans un état constant d’appréhension. Cette stratégie détourne
l'attention et camoufle les vrais problèmes. Ainsi, il est plus facile de faire
accepter de nouvelles taxes, lois et réglementations et de faire oublier les
bévues.
L’environnement
La guerre froide (1945-1990) est un excellent exemple de
l’utilisation de la peur pour obtenir le soutien populaire. Si la perception du
danger représenté par le bloc communiste s’amenuisait dans l’opinion publique,
les bénéficiaires du complexe politico-militaro-industriel américain identifiaient
un nouveau danger. On nous informait que les Russes possédaient un nouvel avion
de chasse, un nouveau sous-marin ou une nouvelle génération de satellites et le
tour était joué. Comme par hasard, les budgets militaires augmentaient en
conséquence.
À la fin de l’ère communiste, il y eut une période de flottement. Les
populations exigeaient que les gouvernements réduisent les dépenses et les
budgets militaires. Le désarroi des politiciens était évident. Il devenait
urgent de trouver une nouvelle source de danger pour éviter une perte graduelle
du pouvoir politique.
C’est au cours de cette période que les gouvernements, avec
l’aide de l’ONU, déclarent l’environnement la source de tous les dangers du 21e
siècle. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
(CCNUCC), ratifiée par 189 pays, entre en vigueur le 21 mars 1994. Le protocole
de Kyoto, sa suite logique, est signé par 156 pays et entre en vigueur en
février 2005. Les écologistes, marchands de peur par excellence, militent
ardemment en vue de la signature d’une nouvelle convention à Paris en décembre
prochain.
L’environnement est un domaine idéal pour perpétuer la
stratégie de gouvernance par la peur. Il y a toujours eu des catastrophes
naturelles et il y en aura toujours.
Les dangers environnementaux sont réels, frappent sans
avertir et sont présents partout sur la planète. Chaque ouragan, tsunami,
inondation, sécheresse donne aux politiciens, secondés dans cette tâche par les
écologistes, l’occasion de rappeler à la population que le gouvernement existe
pour les protéger et les assister dans le besoin. Quoi de mieux pour maintenir
la population dans un état constant d’appréhension du danger et de bienveillance
envers le gouvernement.
Le terrorisme
De tout temps, la sécurité publique représente la forme la
plus efficace d’utilisation de la peur pour gouverner. La guerre est la menace
ultime en matière de sécurité publique.
En temps de guerre, le pouvoir de l’appareil gouvernemental est illimité. Les
politiciens, bureaucrates et entrepreneurs militaro-industriels comprennent
d’instinct qu’ils ont la chance de vivre une période exceptionnelle. Les
opportunités d’enrichissement personnel ne sont limitées que par le manque
d’imagination des individus qui exercent le pouvoir. Les politiciens obtiennent
les augmentations de budget tant attendues. De nouveaux organismes nécessitant
des milliers de fonctionnaires sont créés instantanément. Les demandes des
militaires sont approuvées sans discussion. Les contrats sont accordés sans
soumission.
Ceux qui oseront contester le bien-fondé de certaines décisions seront accusés
d’antipatriotisme, ou pire, de traîtres. Ils seront harcelés par les services
de sécurité et abandonnés par leurs amis, voisins et confrères. Les autres qui
songeaient à dénoncer les abus et les fraudes y penseront à deux fois.
Les événements tragiques du 11 septembre 2001, et ceux qui
ont suivi depuis, ont fourni aux politiciens du monde entier une occasion
inespérée d’assurer la pérennité du mode de gouvernance par la peur.
Le terrorisme est une source inépuisable de dangers
potentiels. Les actes terroristes sont spectaculaires et créent un fort
sentiment d’insécurité dans les populations. La plupart des gens sont
convaincus que les gouvernements sont les seuls organismes susceptibles de
protéger les populations et de prévenir les actes terroristes. Depuis 2001, la
guerre au terrorisme est devenue le véhicule privilégié pour limiter les
libertés individuelles et maintenir les populations en état de soumission.
Conclusion
Les politiciens ont toujours su que la peur est le meilleur
moyen de convaincre les populations réticentes à accorder leur soutien
inconditionnel au gouvernement. Que ce soit pour détourner l’attention de la
population, pour justifier plus de taxes ou pour faire accepter une législation
impopulaire, les politiciens peuvent toujours compter sur un événement dramatique
réel ou annoncé.
Graduellement, en maintenant les populations dans un état d’appréhension
constant, l'État gruge les libertés individuelles au profit des politiciens et
de la bureaucratie gouvernementale.
Le processus s’est grandement accéléré depuis les attentats
du 11 septembre 2001. Les gens acceptent à peu près tout ce qui leur est imposé,
incluant la perte graduelle de leur liberté. La liberté que nous connaissons
aujourd’hui a coûté la vie à des centaines
de milliers de nos ancêtres et concitoyens auxquels il faut maintenant
ajouter les héros de Charlie Hebdo. Il ne faudrait surtout pas qu’ils aient
sacrifié leur vie en vain.