Quand bien même des attentats ont secoué la France, quand bien même des centaines de milliers de personnes se sont découvert des fibres de résistants pour la Liberté d’Expressions, l’économie n’attend pas. Le turbo-capitalisme est cruel et le marché ne s’autorise aucun répit : alors même que tout l’exécutif français occupe au maximum la scène politique, deux nouvelles économiques sont en train de changer discrètement la donne.
La première a fait quelques entrefilets dans la presse grand public : la Suisse en profite pour lâcher l’euro en douce. Enfin, en douce, façon de parler.
Depuis plusieurs mois, le Franc Suisse était soigneusement conservé à un niveau de parité à peu près fixe face à l’Euro, tournant autour du taux de 1,2 CHF pour 1 EUR. Et pour parvenir à conserver cette valeur, la Banque Nationale Suisse se démenait en achetant, à tour de bras, les Euros nécessaires pour éviter que le Franc Suisse ne s’apprécie trop ou trop vite. Au demeurant, cela tombait très bien puisque justement, des euros, il y en avait à revendre un peu partout. Dernièrement, avec les tensions qui s’accumulent encore du côté de la Grèce, et les atermoiements de plus en plus sonores de l’Allemagne devant les difficultés des uns et des autres, France en tête, à parvenir à équilibrer leurs finances au contraire de leur petit camarade teuton, les investisseurs institutionnels se sont essentiellement délestés de leurs euros pour acheter du dollar et du franc suisse.
Cet engouement marqué pour les monnaies suisses et américaines a provoqué, côté suisse, des tensions importantes : pour éviter de recourir aux procédés américains, bien trop détendus de la presse à billets pour espérer conserver longtemps une monnaie saine, la BNS (Banque Nationale Suisse) a fini par décider de lâcher « le peg » avec l’euro, c’est-à-dire le taux arbitraire qu’elle avait choisi pour la conversion d’un franc suisse dans la monnaie européenne.
La réaction des marchés n’a pas tardé, et a été plutôt brutale. À l’annonce, l’euro a véritablement dévissé sur les marchés en face du franc suisse pour s’établir très vite en dessous de la parité (on est tombé pas loin de 0.86 euro par franc suisse) pour remonter dans l’heure autour de la parité autour de laquelle il semble maintenant tourner. Au passage, cette volatilité permettra de rappeler à un peu d’humilité les comiques qui prétendent que les Banques Centrales sont indispensables pour éviter les fluctuations trop rapides des monnaies…
Pour certains, la décision de la BNS s’explique comme une action préventive avant l’éventuel lancement du programme de la BCE de rachats de dettes souveraines le 22 janvier, qui tendrait à diluer encore un peu plus la valeur de l’euro. Pour d’autres, la décision montre surtout une précipitation malsaine, et l’absence d’avertissements destinés aux marchés aura provoqué la belle panique observée à la bourse de Zurich qui perd d’un coup plus de 8%.
Du côté de la presse, très occupée à compter le nombre d’élèves dissidents ou celui des enquêtes ouvertes pour tweets idiots et particulièrement intéressée à pister Hollande dans ses moindres déclarations hésitantes, les conséquences semblent limitées et entendues : d’un côté, les exportations suisses viennent de prendre entre 20 et 30% d’augmentation dans la figure, ce qui met un terme à l’avantage concurrentiel artificiel que les commerçants helvétiques pouvaient avoir. De l’autre, beaucoup se sont empressés de noter que les frontaliers, payés en francs suisses mais habitant dans la zone euro, venaient de voir leur salaire grossir d’un coup de 20%, ce qui ressemble à une bonne nouvelle. Leurs constatations s’arrêtent là.
Un petit souci surnage cependant : le renchérissement des exportations suisses risque de plonger, au moins temporairement, le pays dans une passe économique difficile. Contrairement à l’analyse rapide que peuvent faire certains, les malheurs des uns ne font pas souvent le bonheur des autres et, alors qu’une partie de l’Europe s’enfonce dans le marasme, compter un pays de plus en difficulté, même en périphérie, n’est pas du tout une bonne nouvelle.
Le renchérissement du franc suisse aura aussi un effet mécanique sur les achats de dette souveraine européenne et notamment française que la BNS opérait régulièrement et qui n’auront plus lieu ou pas avec le même volume. On peut raisonnablement s’attendre à une petite tension au moment des prochaines émissions d’OAT (encore qu’en la matière, tout ce qui se passe derrière le rideau, orchestré par une BCE illisible, ne permet pas d’être affirmatif).
Enfin, un autre souci, pas du tout évoqué mais bien plus douloureux celui-là, fait jour. Actuellement, ce sont les Polonais qui y goûtent en premier : l’annonce de la BNS a quelque peu créé la panique chez eux où 700 000 ménages détiennent en effet des crédits immobiliers en devise helvétique. Le zloty a d’ailleurs décroché de près de 20% face au franc suisse, et la bourse de Varsovie encaissait une chute de 2% à la mi-journée.
Or, plus près de nous, ce sont des centaines de prêts pour des volumes de trésorerie importants qui ont été souscrits en carry-trade. Je veux bien sûr ici parler des emprunts dits toxiques dont les remboursements, toujours aussi rocailleux, ont mis dans l’embarras plus d’une collectivité territoriale française. Il y a fort à parier que, le franc suisse remontant autant, les remboursements contractés grossissent de façon plus que douloureuse. Certaines communes ou départements, particulièrement endettés, vont expérimenter un nouveau seuil de douleur dans les prochains mois si la parité actuelle est conservée. Ayons une pensée émue pour Stéphane Gatignon et ses coreligionnaires qui vont ressortir du bois, les yeux pleins de larmes, pour réclamer une intervention musclée de l’État et des contribuables (salauds de riches).
Loin derrière les clowneries présidentielles couplées au tsunami émotionnel et sécuritaire, pendant que la BNS occupe quelques places de l’actualité économique, une autre nouvelle, bien plus discrète, semble n’agiter personne : on apprend de façon fortuite que la Russie a décidé de modifier drastiquement ses livraisons de gaz en ne les faisant plus passer par l’Ukraine mais par la Turquie, et ce, même si de l’aveu de Sefkovic, le Commissaire européen en charge des questions énergétiques, cette décision n’a pas de sens sur le plan économique. Dans cette nouvelle configuration, Gazprom ferait passer ses livraisons sous la Mer Noire vers la Turquie, éliminant de fait tout passage par l’Ukraine.
Forcément, ça va bien se passer.
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