Le Phare du Cousseix fait partie de ces lieux d’édition que l’on rencontre par hasard et auxquels on s’attache parce qu’ils s’inscrivent dans une tradition poétique du livre mince, illustrée par GLM mais présente bien avant lui. Avec les revues et les livres d’artistes, la plaquette est sans doute une spécificité de l’édition de poésie. On aurait tort de minimiser son rôle et de confondre légèreté et fragilité ; certaines « maisons » font vraiment partie du paysage, depuis le temps : Potentille, La Porte, Polder, Pré de l’âge, Contre-Allées, Ficelle… sans oublier les très regrettés Petits classiques du grand pirate ou Wigwam. Le plus souvent, ces éditions reposent sur les épaules et l’abnégation d’une personne qui maintient le cap à force de volonté, de passion, et de bouts de ficelle. Pour le Phare du Cousseix, il s’agit de Julien Bosc. Il publie deux à trois livres par an et on pourrait dire que ces plaquettes s’inscrivent dans la suite de la belle feue collection Wigwam de Jacques Josse : une douzaine de pages de texte, deux in quarto sous une couverture à rabats, sobre. Pour un poète, l’espace idéal pour une courte suite de poèmes ou de proses qui ont une autonomie forte : c’est le cas pour les deux livres, très différents, de Degroote et Lèbre.
Le plus étrange dans ce texte bref et économe de moyens, c’est sa radicalité et son impact. Etonnant aussi de voir combien ce « trajet », publié une première fois dans la revue Limon en 1989 (une note indique ce détail), peut préfigurer en miniature ce qui sera développé bien plus largement dans le premier livre de Degroote, La Digue (éd. Unes, 1995 – repris en feuilleton par Poezibao en 2011 et par Publie.net en 2012). A condition de transposer « lande » en mer, « route » en digue, et « je roule » en je marche. Mais le poids d’extériorité du dehors est semblable : le paysage n’accueille ni ne rejette, il est seulement là, terriblement neutre, et le « je » qui le traverse ne fait que l’expérience de sa solitude fragile. Aller simple d’une vie.
Il y a autant de compassion que d’interrogation de la part de Jacques Lèbre vis-à-vis de ce « tu » très proche et devenu si énigmatique. Beaucoup passe par le regard : celui de Lèbre est attentif aux détails matériels, aux faits minimes qui signalent la maladie, son évolution ; le regard de l’ami, lui, dit souvent une « désorientation » (p.11) : « Dans tes yeux, égarés tes yeux, / on ne sait quoi de volatil – qui s’enfuit, / ne se réfugie pas, non, / chez un être privé de tous ses souvenirs, / il n’y a plus de lieu pour un refuge. » (p.13)
Ces poèmes sans emphase ni larmes touchent par leur humanité, leur retenue : c’est solitude contre solitude, et la séparation finale n’est pas tragique mais constat mélancolique forcé, acceptation triste : l’autre ne se/me reconnaît plus, il est parti trop loin. Comme si, sans mémoire, il avait « peut-être » une éternité d’avance (p.14). « Sur l’esplanade ventée de la gare, / reste le sentiment d’un au revoir raté / dans une froide lumière d’avril. » (p.15)
[Antoine Emaz]
Ludovic Degroote – Llanover-Blaenavon
16 pages – 7 €
Jacques Lèbre – Onze propositions pour un vertige
16 pages- 7 €
Editions Le Phare du Cousseix
Le Cousseix – 23500 Croze / 155 Bd de Magenta – 75009 Paris
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