ZU/Eugène Robinson – The Left Hand Path

Publié le 16 janvier 2015 par Hartzine

C’est un album inquiétant et une collaboration très alléchante. On ne présente plus Eugene Robinson d’Oxbow, qui a multiplié ces dernières années les projets et les collaborations dans l’univers de l’improvisation et de la musique noise. On présente encore à peine Zu, qui a déjà signé quelques albums très remarqués, notamment l’impressionnant Carboniferous. Ils jouaient au côté de KK Null le 6 décembre aux Instants Chavirés de Montreuil, décidément une des meilleures salles de France dans le domaine.

L’album est sorti chez Trost Records en fin d’année. Ils viennent également d’éditer un LP réunissant Peter Brötzmann, Keiji Haino et Jim’O’Rourke (sic !).

The Left Hand Path tranche dans la discographie des protagonistes. Il semble s’étaler sur une esthétique ayant d’avantage trait avec la drone musique ou le métal improvisé qu’avec les habituels morceaux de bravoure free jazz de Zu, ou les proférations revêches du leader d’Oxbow. The Left Hand Path suit une construction particulière, des morceaux courts, relativement courts, entre 30 secondes et 4 minutes 30. La durée moyenne des 19 morceaux qui composent l’album est de 2 minutes.

L’album commence comme si l’on assistait à une représentation de This is how you will disappear de Gisèle Vienne. De l’inquiétude dans une brume épaisse. Ostinato et bruits métalliques, voix étouffée d’Eugene Robinson. Le sentiment qui domine, c’est d’abord l’effacement. Tout se fait discret au profit de la voix et des textes d’Eugene Robinson. On a l’impression paradoxale par l’écoute d’être plongé dans l’univers d’un film de Guy Maddin, on s’attend à voir surgir une scène de caméra super 8 en noir et blanc scandée par la voix d’Isabella Rosselini. The Left Hand Path joue sur l’angoisse produite par la voix d’Eugene Robinson. Voix couplée, doublée par des bruitages, des bruits de fond de gorges et des souffles des membres de Zu. Certains morceaux s’écrivent dans une tonalité très classique, d’autres au contraire dans celle d’un spoken word brut ou bien encore d’un blues lourd et tétanisant. Au fur et à mesure des morceaux, c’est une impression de langueur grise qui se joue. L’impression d’être enserré progressivement dans les voix et le minimalisme apparent des compositions.

The Left Hand Path, c’est une partition pour voix, la voix d’Eugène Robinson, que l’on entend tantôt pleurer, tantôt expérimenter du fond de ses poumons. Tout l’appareil phonatoire et respiratoire est en jeu. Les voix se surajoutent, s’accumulent jusqu’à donner un matériau. Un matériau sombre et tendu. Au fond, peut-être que ce qui caractérise le mieux cet album, c’est le terme de “ballade”. La ballade froide d’Eugene Robinson avec Zu. Le tour de force est sans doute là d’ailleurs : créer un album émotif et sensible. Un album dont le matériau est la tentative d’exploration d’une tonalité du sensible.

Pas forcément une masterpiece – quoique – mais une production vraiment singulière. Singulière car narrative, c’est un peu comme un film dont on aurait évacué l’image. À vous de devenir spectateur par l’écoute, d’un film mental que vous produirez.

Précisons que vous devriez vraiment tous pousser les portes un jour des Instants Chavirés à Montreuil, de l’Embobineuse à Marseille, de Câble à Nantes, ou d’aller faire un séjour pour voir ce qu’il peut se passer dans des usines à Milan. Parce que parfois, clairement, on se prend le genre de grosse mandale dont on ose à peine imaginer l’existence.

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