d'après L’AMI JOSEPH de Maupassant
Mme de Mérole ressemblait
À son mari, comme s’ils étaient
Frère et sœur. Par tradition,
Ils respectaient le roi et la religion
Et se montraient charitables,
Justes, irréprochables.
Lorsque le comte de Mérole invita
Joseph Moradour,
Son meilleur camarade de cours
À l’école,
Il éprouva
Une joie naïve et folle.
Moradour, un vrai méridional,
Était devenu Conseiller général,
Un républicain convaincu
À la langue bien pendue.
Il parlait vivement
Disant sa pensée sans ménagement.
À peine était-il arrivé chez son ami
Qu’il fut tout de suite admis
Malgré ses opinions progressistes.
Par convenance,
Le comte lui avait dit :
-« Puisque tu passes tes vacances
Avec nous, sache que tu es chez toi, ici. »
Mme de Mérole voulant aussi
Se montrer accueillante, commit
Cette stupide maladresse :
-« Cher Joseph
Vous êtes intelligent et sympathique.
Pourquoi défendez-vous des idées politiques
Qui ont tant de révolutionnaires répercussions
Sur l’état de votre, de notre Nation ? »
Moradour blaguait ses amis.
Saugrenu,
Il les appelait ’’ses aimables tortues’’.
Il leur avait dit,
En de sonores déclarations,
Ses préjugés contre les traditions
Et sa haine des ’’réac’’ et des catholiques.
Il déversait
Des flots d’éloquence démocratique.
Par savoir-vivre, Mérole se taisait
Ou détournait la conversation
Pour éviter
Tout motif d’irritation
Pour son invité
Un matin, Moradour descendit
Vêtu en paysan et dit
D’un air décidé :
-« Méroul, allons visiter
Votre exploitation agricole ! »
…Et il choqua les cultivateurs
Par le ton camarade de ses paroles.
Un soir, les Mérole avaient invité
Le curé à diner.
L’ecclésiastique arriva vers sept heures.
Joseph Moradour
Grimaça
Et ne le salua pas.
Dès la fin du bénédicité,
Il l’appela : ’’Monsieur’’, tout court.
Et non ’’Monsieur le curé’’.
Les Mérole se montraient désespérés.
Moradour disait à l’abbé :
-« Votre dieu est de ceux qu’il faut respecter
Mais aussi de ceux qu’il faut discuter.
Le mien s’appelle Raison.
Il est l’ennemi de votre poison. »
Mérole changea la direction
De cette conversation ;
Néanmoins, le curé partit de bonne heure.
Le comte fit part à son ami de sa stupeur :
-« Tu as peut-être exagéré
Avec monsieur le curé… »
Mais aussitôt Joseph déclara :
-« Elle est bonne, celle-là !
Je me gênerai avec un calotin !
Ce sont tous des crétins. »
Quand ces gens-là respecteront
Mes convictions,
Je respecterai les leurs
Ou je ferai un nouveau malheur !
Mais, fais-moi le plaisir, s’il te plait,
De ne plus m’imposer
Ce bonhomme-là
Pendant nos repas. »
Le lendemain quelle ne fut pas la surprise
De Mérole de voir son ami lire la Justice
Et brandir le Voltaire.
Le comte fit aussitôt un pas en arrière.
Moradour, hautain, recommanda :
« Huit jours de cette nourriture-là
Et je te convertis
À mes théories.
Il y a là-dedans
Un fameux article de Malavoy.
Ce gaillard est surprenant. »
Il le lut à haute voix
Et conclut : -« Cela, c’est tapé ! »
Au bout d’une semaine,
Moradour gouvernait tout le domaine.
Il avait fermé la porte au curé,
Dirigeait les travaux des champs,
Réorganisait l’exploitation des bois,
Ordonnait de dévaser les étangs,
…Et interdisait aux Mérole
La lecture du Clairon et celle du Gaulois.
Le lundi suivant, excédé, Mérole
Prétexta : -« Mon cher Moradour,
Nous devons nous absenter.
Acceptes-tu d’être abandonné
Quelques jours ? »
Joseph ne s’émut pas et répondit :
-« Très bien. Je vous attendrai ici.
Je vous l’ai déjà dit :
Pas de gêne entre amis.
Je ne me formalise pas, bien au contraire.
Allez tranquillement régler vos affaires. »
Les Méroul partirent. Mouradour
Attendit leur retour.