Il y a huit jours à peine, nous étions tous muets d’horreur après le drame Charlie. Que s’est-il passé depuis ? La mort des responsables, un pays qui s’est élevé contre la barbarie et le terrorisme, sous les yeux du monde entier, et une foule de questions pour demain.
J’ai été touchée par ces élans de solidarité, et par l’émotion bienveillante au cours des rassemblements et des marches qui ont fleuri dans toute la France. Pourtant, quelque chose me chagrine aujourd’hui. Cette levée de boucliers en faveur de la liberté d’expression semble s’être muée en une nuée de réactions finalement très politiquement correctes : la France est un magnifique pays (mais ne l’était-il pas déjà avant ?), les dessinateurs étaient des génies, Charlie Hebdo devient intouchable et ceux qui hier encore le conspuaient s’arrachent le dernier numéro et envisagent même de s’y abonner. Et je ne parle même pas du mercantilisme honteux qui s’est emparé de la toile.
Tandis que je m’apprêtais comme tout le monde à acquérir mon exemplaire, je me suis soudain réveillée. Je me suis souvenue que les unes du journal me choquaient parfois, que je n’étais pas en accord avec sa ligne éditoriale, et qu’avant ce drame, je ne le lisais pas. Je me suis dit que c’était sauvegarder ma liberté d’expression que de continuer à penser cela, et de n’avoir pas plus aujourd’hui qu’hier envie d’acheter et de lire Charlie Hebdo. En prenant un peu de recul sur ce dernier numéro, j’ai eu le sentiment que Charlie était devenu pour beaucoup comme une bouée de sauvetage dans une mer de valeurs en perdition, un idéal un peu factice auquel se raccrocher. J’ai eu la conviction qu’il était capital au contraire de rester qui nous sommes, fidèles à nos convictions, et de ne pas suivre la masse à moins d’en être convaincu pour une excellente raison.
Alors au lieu d’acheter Charlie Hebdo, j’ai décidé de continuer à pleurer le drame humain en souvenir des victimes, et de laisser cette petite bougie sur mon blog en leur honneur, sans me demander si je suis Charlie ou pas. J’ai aussi décidé de ne pas oublier les atrocités perpétrées partout ailleurs dans le monde, et de me mettre, comme le disait très justement un de mes très bons amis, en urgence de vie, pour éradiquer la haine et la peur.