« Heureux comme Dieu en France » même quand on n'y croit pas

Publié le 15 janvier 2015 par Gezale

Le sens des mots. Essentiel pour se comprendre et être compris. J’entends que des Français, des jeunes « issus de l’immigration » surtout, mettent sur un même plan les unes de Charlie Hebdo (1) jugées blasphématoires par des musulmans et les propos de Dieudonné plusieurs fois condamnés par la justice pour incitation à la haine raciale. Ils reprochent aux médias un « deux poids deux mesures » au désavantage de Dieudonné, pourfendeur antisémite et négationniste en chef.
Pourquoi devons-nous nous entendre sur le sens des mots ? Parce que d’un côté, on a des journalistes, caricaturistes, chroniqueurs, dont le métier est de faire rire et réfléchir, de moquer sans prosélytisme, de blasphémer si besoin est dans un pays dont la devise « liberté, égalité, fraternité » devrait se voir ajouter : laïcité. En France, le caractère sacré d’un lieu, d’un homme ou d’une femme, n’existe pas collectivement. Il s’agit d’un choix individuel relevant de la sphère privée. Le délit de blasphème n’existe d’ailleurs que dans les états dans lesquels la séparation du religieux et du politique est inconnue. Autrement dit, la France est un pays permissif, qu’on croit au ciel ou qu’on n’y croit pas.
Quand des musulmans demandent l’application du Coran comme mode de gouvernance, il ne s’agit pas d’une revendication de nature constitutionnelle et démocratique. Il s’agit de l’application d’un texte datant du 7e siècle, un texte qu’il faut évidemment respecter comme élément constitutif d’une foi ou d’une croyance, mais non opposable à une société — la nôtre —dont les textes encadrant notre vivre ensemble privilégient la liberté et notamment la liberté d’expression. En France on peut critiquer le pape, le prophète, les juifs orthodoxes, Bouddha et d’autres dieux…Les Talibans, eux, exigent l’application de la charia, la loi canonique de l’Islam. Ils ne sont pas seuls. On voit bien qu’au Nigéria, en Libye, en Irak, en Syrie, d’autres gouvernants ou postulants au pouvoir veulent imposer leur loi aux autres aux non musulmans ou aux musulmans différents. Ce danger guettait la Tunisie mais les électeurs de ce pays par un vote au suffrage universel l’ont écarté. Il n’empêche que des islamo-fascistes ont trouvé le temps de tuer deux représentants éminents de l’opposition tunisienne !
C’est d’autant plus important que c’est au nom du prophète que ces islamo-fascistes violent, assassinent, terrorisent ceux et celles qui ne pensent pas comme eux, ne croient pas comme eux, ne vivent pas comme eux. Dieudonné prétend se situer sur le terrain du rire et de la liberté d’expression mais ses propos stigmatisent une communauté dans les personnes qui la composent, ils répondent à la définition que donne la loi du délit : le négationnisme et l’antisémitisme. Il agresse les juifs parce qu’ils sont juifs, pour ce qu’ils sont non pour ce qu’ils font. Il conteste la Shoah et nie l’existence des chambres à gaz. Il déplore les lois mémorielles au prétexte que l’esclavage serait sous-estimé. Christiane Taubira a pourtant, dans un discours improvisé remarquable, fait voter une loi reconnaissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité.
Dans le droit français, l’antisémitisme et le racisme ne sont donc pas des opinions, ce sont des délits et ils sont réprimés comme tels. Dieudonné était en garde à vue dans les locaux de la police judiciaire de Paris parce qu’il a vanté l’action de Coulibaly, auteur de quatre meurtres contre des clients juifs du magasin cacher de la porte de Vincennes. Quand il dit être heureux de s’appeler « Charlie Coulibaly », il donne son approbation implicite à plusieurs crimes commis au nom de l’antisémitisme et c’est punissable car ses propos incitent à la haine…et font l’apologie du terrorisme.
Je ne suis, par contre, pas d’accord avec Manuel Valls quand il stigmatise le roman de Michel Houellebecq « Soumission » dont on peut contester la forme, le fond et le style mais une œuvre telle que la sienne ne peut en aucune façon être comparée aux pamphlets de Céline qui appelait au massacre des juifs comme le faisaient Rebatet, Brasillach et quelques autres. Le droit à l’imagination n’entre pas dans une catégorie ou un quelconque classement. Il doit être large, ouvert et c’est bien pourquoi Bernard Maris, tué dans les attentats de Charlie Hebdo, était un ami de Houellebecq dont il a défendu le roman.
L’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka affirme qu’une démocratie se reconnaît à un caractère que ne possèdent ni les dictatures ni les pouvoirs fascisants : il s’agit de la nuance. Cette nuance est consubstantielle à la démocratie, c’est elle qui permet la vie en commun, elle qui permet des choix différents et qui permet le débat. Autant on peut se sentir Charlie, autant on peut nier ce choix. Les « je suis Charlie » et les « je ne suis pas Charlie » peuvent coexister et dialoguer. Il existe peu de pays au monde à pouvoir être comparé au nôtre. C’est sans doute pourquoi les juifs ashkénazes du 18e siècle déclaraient en yiddish « Men ist azoy wie Gott in Frankreich » « heureux comme Dieu en France »…
(1) L’indépendance de la presse, c’est Charlie hebdo ! Pourquoi ? « Parce que Charlie Hebdo ne dépend d’aucun actionnaire extérieur. Parce que Charlie Hebdo refuse de se vendre à la publicité. Parce que Charlie Hebdo ne cède pas aux menaces de mort. Parce que Charlie Hebdo ne cède pas aux attentats. Parce que Charlie Hebdo n’est pas soumis à Dieu. Parce que Charlie Hebdo n’a de compte à rendre qu’à ses lecteurs. Charlie Hebdo est un journal satirique, laïc, politique et d’information » Texte destiné à ceux qui souhaitent s'abonner.