Les gens qu'on nous amène ici, on pourrait directement les conduire à la bibliothèque, ce sont tous des romans. Et s'ils ne le sont pas encore, ils le deviendront ici.
C'est un château triste, un téton monstrueux sur un nichon posé sur la plaine, un ancien couvent dont les murs ont des coquillages à la place des oreilles, pour mieux garder les secrets les plus répugnants
C'est un zoo, un hôpital fantastique où il neige des colombes sur des chiens durcis, où une Biche croise furtivement une Rose en train de se faner, où l'on pend son linge sale enroulé autour du cou. Inutile de crier, c'est déjà trop tard, les courriers sont censurés comme le visage de celle qui écrit à l'esthète illettré des phrases féminines de verveine apaisante. Des amours, ou des pornographies, fleurissent aux barreaux des fenêtres et se répandent sur les salades de Mathilde, petite étoile stérile et perdue dans ses rires d'enfants tricotés même en plein été - ou se retrouvent mêlés à la terre, aux graviers, aux bouts de verre, sur les doigts d'une déesse éprise d'un athlète
Les femmes provoquent les hommes, à cause de qui elles sont enfermées, souvent, ou à cause d'enfants arrivés au mauvais moment. L'une nourrit son troisième barreau de mari de miettes de pain, de restes de repas, de lambeaux de chou rouge, débris de viande indéfinie et trognons de pommes, un autre s'en délecte comme le paresseux de feuilles d'eucalyptus, qui avarie ses chairs et protège ses arrières. Les plus anciens gardiens se défoncent la gueule au café d'en face, La Liberté, avant de commencer leur journée. Et le directeur, chaque soir, éteint l'une après l'autre les chamailleries de trois enfants qui n'ont pas voulu naître.
Personne n'est à l'abri, derrière les murs. La prison tape sur le système, des employés, des prisonniers, tous condamnés à passer une partie de leur vie là où même le soleil n'ose plus entrer que quelques quarts d'heure dans année.