1 an. 1 an que vous êtes nés. 1 an que vous êtes repartis.
Gabriel, Michaël, mes jumeaux, mes fils, mes anges, mes bébés. 1 an qu’on a eu la chance de vous avoir avec nous. Ne serait-ce que l’heure de vie commune qu’il nous a été accordé de vivre ensemble. 1 heure avant que vous ne rejoigniez le paradis des anges, nous laissant avec une peine indescriptible et une vide incommensurable.
Je revis souvent cette journée terrible. A vrai dire, je revis les 10 jours qui ont abouti sur le drame de notre vie. De ce samedi 4 janvier 2013 où nous sommes partis aux urgences pour avoir ce diagnostic si terrible qui nous a été donné, laissant entrevoir l’impensable, l’inimaginable. On se croit à l’abri. On pense toujours que cela n’arrive qu’aux autres. Que cela n’est pas possible. Et pourtant, je suis cet « autre » à qui cela est arrivé. La violence du diagnostic, le risque de naissance dans les 48h. Et l’issue, incontournable, inévitable: une extrême prématurité qui ne permet aucune réanimation. Le sort est donc scellé. Puis ces 10 jours d’attente aux urgences, en priant, en espérant que tout se passe bien. En espérant, en réalité, qu’un miracle se produise. Mais ce ne fut pas le cas…
Ces événements, je les ai subi sans rien pouvoir faire, sans pouvoir inverser le cours de la fatalité. Ce sentiment d’impuissance est resté gravé dans ma mémoire et j’essaie maintenant de vivre avec. En tant que père, j’aurais dû vous protéger, vous, mes fils, ainsi que votre mère. Mais je n’ai pu qu’assister impuissant à l’accouchement prématuré qui vous condamnait de facto.
On ne vous donnait que 10mn de vie, vous avez vécu 1h30. Vous étiez déjà forts et courageux contre la nature qui vous condamnait.
Quel déchirement quand, après la délivrance, le pédiatre vous a pris pour vous « accompagner » sans souffrance au royaume de Dieu. Cela nous a enlevé de précieuses minutes de vie avec vous. Que ce fut dur à vivre de vous voir ainsi « enlever » à nos bras qui n’attendaient que vous pour les quelques instants appelés à entrer dans la postérité de nos mémoires. Mais c’était le prix à payer pour que vous ne souffriez pas.
La religion nous a aidé à surmonter l’inexplicable, pour une raison qui échappe à moi-même. Je crois surtout que le père Louis de Romanet a su, avec ses mots si simples, avec cette foi intérieure si intense qui le caractérise, nous faire accepter que la vie éternelle vous attendait et que votre passage sur terre ne signifiait pas que votre vie s’arrêtait. Je m’accroche à cette idée peu scientifique pour me dire que vous êtes biens là où vous êtes. Que vous êtes heureux autant que l’on est malheureux. Que la vie là-haut est douce autant qu’elle est dure ici-bas.
Quelle épreuve alors que votre mère et moi avions tellement de projets. Le fait que vous soyez jumeaux ajoutent à l’exceptionnel une touche tragique car il est très peu probable d’avoir une nouvelle chance d’avoir d’autres jumeaux. Vous étiez une curiosité naturelle de conception, mais surtout une vraie fierté.
Votre mort tragique a révélé certaines choses, certaines personnalités. La nature humaine est parfois triste à voir. Les gens se sont révélés, et c’est très bien ainsi. Nous savons maintenant sur qui nous pourrons toujours compter.
Si j’étais cynique, je dirais que vous n’aurez pas à connaître de tragiques événements comme toutes ces guerres, qu’elles soient territoriales, idéologiques ou encore religieuses, qui déchirent des peuples et des pays entiers. Vous ne connaitrez pas cette bizarrerie que l’on appelle « homme politique » dont le métier est de se faire élire et donc prendre des mesures populaires à défaut d’être efficaces. Un vrai non-sens.
Mais je persiste à penser que, à votre manière, vous auriez essayé de changer les choses, de changer le monde, en apportant une pierre à l’édifice d’un monde meilleur. Vous auriez peut être participé avec votre père à des courses avec des enfants handicapés, apprenant ainsi la différence, ou encore appliqué la tolérance envers des gens d’une autre opinion, d’une autre origine ou d’une autre religion. Vous auriez été rebelle comme votre père, en n’acceptant jamais le sens commun ou les effets de masse mais en gardant toujours votre propre opinion et votre esprit critique sans vous faire influencer.
Nous avons aussi fait de belles rencontres au travers des groupes de parole de parents endeuillés. Nous nous sentions écoutés mais surtout compris et notre peine était respectée dans sa plus simple conception.
L’arrivée de votre sœur, avec un peu d’avance, ne change rien à ce vide. Vous serez toujours nos jumeaux et vous êtes irremplaçables, inoubliables. Il n’y a pas un jour qui passe sans que je pense à vous. Ma sortie longue du weekend est tracée pour que je passe systématiquement à côté de votre sépulture. C’est un moment unique dans ma semaine. A la fois dur et nécessaire.
Nous vivrons toujours avec cette peine, cette douleur, ce manque et cette tristesse. Mais votre sœur nous permet de combler une partie du vide que nous vivions: nous étions parents mais vous n’étiez pas avec nous. Maintenant nous découvrons une autre forme de parenté. Mais vous êtes toujours dans nos cœurs, dans nos pensées et dans notre vie. Et vous le serez toujours.
Je sais que vous avez veillé sur votre sœur et que vous serez toujours là pour la protéger de là-haut. Je sais aussi qu’elle grandira en apprenant à vous connaître et vous fera donc vivre. Vos cousins, votre tante, ainsi que beaucoup d’autres membres de notre famille vous font également vivre en pensant à vous régulièrement. Vous faites partie intégrante de la famille. Vous faite partie intégrante de notre vie.
Notre vie est changée à jamais. Nous ne verrons plus jamais les choses comme avant. Nous ne vivrons plus jamais comme avant. Nous avons perdu l’innocence d’une grossesse « normale ».
Mais vous êtes nos enfants, à jamais, et personne ne nous l’enlèvera.