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Dimanche dernier, je ne suis pas allée marcher. Je ne suis pas allée me mêler à la foule dans les rues et sur les places. Je suis allée marcher dans la montagne, dans la nature. Une autre sorte de communion. Je suis allée passer du temps en famille, partager des moments avec mes proches, échanger de bonnes ondes et, à travers le chocolat et les rires, leur dire que je les aime. Je suis allée guider nos enfants, leur montrer le chemin. Je suis allée leur éviter cette foule de gens qui, une fois l'émotion passée, ne feront plus rien pour personne, reprendront leur litanie de plaintes quotidiennes et courront réserver leurs vacances d'été sur internet. Internet. Ce lieu hors du monde réel et partout à la fois, envahissant, où le troupeau s'est livré à un concours de photos et de blagues de plus ou moins mauvais goût. Certains y sont allés de leur réflexion simplette auréolée d'un coeur mièvre dessiné autour de leur message. Angélisme. D'autres se sont pris pour des humoristes nés et ont cru bon de se faire succéder sur leur "mur" une enfilade de dessins tous plus cyniques les uns que les autres. Tous ont regardé les mêmes vidéos, tous se sont transformés en voyeurs, en commentateurs, en journalistes, en analystes politiques, en tout et n'importe quoi. Beaucoup ont versé des larmes de crocodile à la place des familles amputées de l'un de leur membre et n'ont pas compris la nécessité de respecter le deuil.
Pendant ce temps-là, un grand-père attend sagement à la maison de retraite que ses enfants ne viennent pas lui rendre visite, comme ils ont coutume de ne pas le faire. Une soeur attend vainement un mot de réconciliation ou d'encouragement. Un enfant attend qu'on regarde d'un oeil bienveillant ce qu'il fait de sa vie, maintenant, dans l'instant, qu'on voue une attention qu'on ne se connaît plus depuis longtemps à un dessin, un trait d'humour ou une couronne de princesse sur la tête d'un nounours. Un voisin attend sans grande conviction qu'on lui sourie, parce que, des sourires, dans sa solitude, il n'en voit que peu de fois la couleur. Devant sa télé, le voisin regarde d'un air ahuri tous ces gens solidaires qui lui passent sous la fenêtre, sous son nez, sans avoir l'idée de monter l'escalier et de venir le prendre par la main. Le voisin, il s'appelle Charlie aussi, et, cette semaine, et les semaines suivantes, personne ne le saura. Alors, tout le monde sera rentré chez soi. La télé parlera d'autres choses. Les internautes surferont sur une autre vague. Avec désinvolture, ils passeront du coq à l'âne, du moutonisme au crétinisme avec la même ferveur.
Elle, elle restera seule, amputée de la moitié de sa vie. Les journalistes auront enfin déserté le pas de sa porte. Elle pourra pleurer tranquillement. Si je ne suis pas allée marcher, si je ne suis pas allée me mêler à la foule dans les rues et sur les places, c'est parce que je veux garder mon énergie pour elle et pour les miens.
Quand les journaux auront tous été vendus, qu'on se sera repu l'égo de nos reflets de bons samaritains dans le regard de notre prochain, quand chacun aura repris son costume d'égoïste notoire taillé sur mesure, quand les veuves et les orphelins n'intéresseront plus personne, moi, tous les jours qu'il me sera donné, je leur dirai que je les aime.