Kiko Herrero - ¡Sauve qui peut Madrid! [POL, 2014]
Article écrit pour Le Matricule des anges
Avec ce premier roman en forme d’exercice autobiographique, l’espagnol Kiko Herrero, qui vit en France depuis de longues années et a écrit son livre dans cette langue, opte pour une forme fragmentaire dans laquelle chacun des courts chapitres, comme autant de vignettes drôles, acides, mélancoliques ou inquiétantes, permettent de tisser petit à petit l’histoire d’un exil volontaire. C’est en ce sens d’ailleurs qu’il convient de lire le titre : ¡Sauve qui peut Madrid!, ou les épisodes précédant une inévitable fuite avant de se laisser aspirer.
De son enfance dans l’Espagne bigote et murée du franquisme finissant aux folles nuits de la movida, de la drogue et de l’homosexualité assumée, on pourrait croire le chemin un peu trop balisé. Ce n’est pourtant, et fort heureusement, pas tout à fait le cas - l’unique « apparition » de l’inévitable Almodovar, quelque peu ironique, est de ce point de vue un signe de ce que l’auteur est conscient du danger.
S’il n’est jamais complètement exempt d’une certaine complaisance – notamment vers la fin du livre, la moins réussis, qui narre un retour à Madrid « 25 ans après » - le texte sait malgré tout, particulièrement dans les pages consacrées à l’enfance, proposer avec justesse et sans apprêts excessifs une poétique du quotidien, de la famille, du voisinage, des virées à la campagne, des premiers émois, etc. Mais aussi de la tension, des oppressions et des non dits.
Un des premiers atouts du texte, que l’on devine dès la première vignette et son histoire de baleine morte trainé jusqu’à la ville par un groupe de gitan, c’est que la mémoire n’est pas un exercice condamné au factuel, que sa recréation littéraire peut aussi appeler à la réinvention, à l’exagération, à la reconstruction fictive du réel, ce que Herrero ne se prive pas ici de faire, et c’est heureux. Son livre se convertit alors dans ses meilleurs moments en un bel exercice de subjectivité décalée.