Passages de relais

J'ai finalement renoncé à livrer des portraits des nombreuses personnes rencontrées, pas seulement parce que cela se serait avéré inintéressant de mon point de vue, mais également parce que j'ai traité de sujets généraux pour la rédaction du magazine.
Je me contenterai donc, ce soir, de faire part à mes lecteurs d'une nouvelle réflexion que m'inspire l'observation quotidienne de Shanghai et de sa vaste et peuplée région.
Les habitués de Criticus savent que je suis un passionné d'histoire, au point que le traitement de l'actualité s'en trouve souvent relégué en arrière-plan. Bien qu'ayant choisi, sans regret, de m'orienter vers le journalisme après une licence d'histoire, il se pourrait bien que, sans abandonner le premier, je revienne à la seconde.
C'est dans cette optique que je compare l'avènement de la Chine et le déclin de l'Europe simultanés avec la récupération de l'héritage grec par la Rome antique. Pourquoi ? Il se trouve que, à ma grande surprise, les différentes cultures d'Europe sont à l'honneur sur les campus chinois. A l'Université dans laquelle je réside, se trouve un centre sino-français et un département d'études germaniques. Un festival dédié à la culture italienne a également été organisé sur le campus récemment. Un phénomène que l'on constate aussi sur les campus nord-américains, mais qui est plus étonnant de la part d'un pays non-occidental. L'enseignement de l'anglais bien sûr, mais aussi d'autres langues indo-européennes, est vivement encouragé dans les universités chinoises. On peut ajouter à cela que les étudiants sont grandement incités à faire des séjours d'étude et des stages dans des pays occidentaux.
Cette évolution, qui, pour le coup, me semble assez positive, est le signe d'un passage de relais, entre deux vieilles civilisations dont l'une apparaît en bout de course et l'autre, après une léthargie de plusieurs siècles, renouera avec la puissance au cours des décennies à venir. Un passage de relais qui s'accompagnera nécessairement d'une transmission au moins partielle d'héritage. Une civilisation hybride, mi-asiatique mi-occidentale, apparaîtra-t-elle sur les rives orientales du continent eurasiatique ? Le caractère ultra-minoritaire des expériences de ces étudiants interdit pour l'instant de le dire, mais de telles expériences sont de mise à entraîner de grandes réactions en chaîne. Le jour où, pour bien comprendre l'histoire de l'Europe, il faudra se référer à des ouvrages écrits par des historiens chinois, on pourra légitimement penser que le trésor de la culture européenne aura trouvé en la Chine, qu'elle reste populaire ou non, un gardien et un continuateur.
Roman Bernard