Il y a longtemps que je n'avais pas vu ça ! Samedi, en début d'après-midi, il y avait un monde fou dans le métro. Une affluence comme je n'en avais pas connue depuis qu'étudiant à Lille 3, le soir, à la sortie des cours, je sautais dans une rame pour rejoindre la gare et le train qui m'attendait. Nous nous entassions à qui mieux mieux dans les wagons, et, comparé à notre sort, on pouvait vraiment dire que dans une boîte de sardines il y avait de la place ! C'est la même ambiance que j'ai retrouvée. Sans parler des gens qui ne cessaient de s'accumuler sur les quais et pénétraient au compte goutte dans les rames. Et puis, à la station mairie de Lille, le métro s'est vidé, la foule s'est engouffrée dans les escalators et les couloirs pour déboucher à l'air libre rejoindre le départ de la manifestation.
Résultat : 40.000 personnes dans les rues de Lille (ma précédente expérience, c'était « seulement » 35.000 personnes dans une manifestation monstre contre la réforme des retraites). Et sur le week-end, 5 millions de manifestants en France ! Peut-être bien du jamais vu. Un geste de soutien au journal satirique Charlie Hebdo, une démarche compassionnelle en direction des victimes de la semaine, une protestation contre le terrorisme. Mais pas seulement ça. Beaucoup plus que cela.
Une réaction contre ce qui a été ressenti par l'ensemble de la population française comme une attaque contre les fondements de la démocratie française et de ses valeurs républicaines. Un message fort pour rappeler que même si dans notre histoire il nous faut assumer l'héritage des « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens », des bûchers de l'Inquisition et de la chasse aux sorcières, la Révolution française a définitivement tourné la page et que nous avons proclamé haut et fort que ce genre d'époque était totalement révolue par la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905 qui a précisé les règles du jeu.
Si certains ont pu comparer l'attaque contre Charlie Hebdo du 7 janvier à un nouveau 11 septembre, on ne pourra manquer de voir dans la massive démonstration populaire de ce week-end un nouveau 14 juillet, dans l'esprit des hommes de 1789, qui proclamèrent les droits de l'homme ; qu'il n'y avait plus devant la Loi ni catholiques, ni protestants, ni juifs – ni musulmans pourrions-nous ajouter aujourd'hui – mais uniquement des citoyens français libres et égaux en droits, en attendant le tour des femmes. Même le Pape, en 1891, dans son encyclique Rerum Novarum avait invité ses fidèles à reconnaître la République et les règles du jeu démocratique. Et peu après, les bases de la laïcité furent définitivement posées et les règles entre pouvoirs politique et religieux clairement définies.
Cette semaine, c'est donc ce socle républicain que les Français ont senti qu'on attaquait et auxquels ils ont marqué leur indéfectible attachement. Puissent ces manifestations ne pas être sans lendemain et rappeler que la défense, la valorisation et la pratique des valeurs démocratiques sont un combat culturel permanent !
Et que son corollaire, c'est-à-dire le droit de rire des autres et de soi-même, est inaliénable. Après tout, le rire n'est-il pas le propre de l'homme ?
(photos Pierre André Leclercq et Lille ma Ville)