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Atis Rezistans : la genèse d’un mouvement

Publié le 13 janvier 2015 par Aicasc @aica_sc

Atis Rezistans
La genèse d’un mouvement

Brunel Rocklor

Brunel Rocklor

La récupération en Haïti serait un héritage de l’Afrique, selon Donald Cosentino, du Fowler Museum de Los Angeles, et se pratiquait depuis longtemps. Cependant sans remonter aussi loin, on peut dire que le mouvement qui a pris le nom de «Atis Rezistans» serait né dans la communauté de la Rivière Froide, à l’ouest de la capitale, Port-au-Prince. Dans sa genèse, on retrouve au départ un sculpteur, Georges Laratte (1933) qui s’y installe et qui, au début des années 1970, va abandonner le bois au profit de la pierre, celle que lui apporte la rivière. La critique étrangère a rattaché ses premières productions à la tradition Taïno de la sculpture sur pierre dont on trouve encore quelques échantillons dans le sous-sol et dans des temples vodou. Laratte va ensuite évoluer vers une stylisation des formes, procédé que reprendra son fils Ronald et une multitude d’artisans.
Parmi eux, il y avait un jeune artiste du nom de Camille Nasson (1961-2009), encouragé et aidé par la rencontre avec le père Léonel Dehoux et un artiste italien, Angelo Vanenda. Avec Jean Brunuel Rocklor (1963), Nasson a créé le regroupement Antdezo (entre deux eaux), un nom faisant référence à la rivière qui pour eux revêt une grand importance. Nasson va ensuite se démarquer de l’harmonie, de la grâce des pièces de Laratte. Les visages qu’il a fait sortir de la pierre ont des traits forts, épais. A l’élégance, il substitue l’expressivité. Il y a eu alors sa rencontre avec les tous premiers «artistes de la Grand-rue» qui, dans un premier temps, ne feront que le copier de manière servile.

Jean Camille Nasson

Jean Camille Nasson

En 1987, le groupe accueille, Mario Benjamin, qui veut faire sauter les codes et se démarquer de la pratique du photoréalisme qui caractérisait ses premières œuvres. Mario Benjamin intègre alors dans une toile des visages taillés dans le roc (un emprunt à l’œuvre de Roklor) et qui se confondent avec une nature aride. Mario semblant alors transformer l’acte de création en rituel et s’est lancé dans l’emploi de matériaux pauvres allant du bois à la paille, de la corde au clou, du haillon au morceau de verre brisé. Comment oublier ses panneaux publicitaires pour un concert de Bookman Experiens. C’est que son nouvel ami Nasson (dont il fera d’ailleurs un portrait impressionnant) avait repris une habitude de son enfance : la réalisation d’assemblages hétéroclites en les imprégnant cette fois d’une conscience sociale. C’est avec Mario Benjamin et Nasson que le groupe d’artistes d’origines populaire de la grand-rue ont découvert des courants contemporains du genre trash art. Le caractère «art» des assemblages issus de telles démarches vient généralement et avant tout des intentions de l’artiste qui les réalise. Leur présentation dans des lieux artistiques, des occasions particulières peuvent aussi être un atout.
Dans les années 1990, Mario Benjamin expose à la galerie Marassa un chien en bois, amputé, boiteux, qu’il a peint et électrifié. C’est une œuvre scandale. C’est à la même époque qu’à l’initiative du jeune poète Gary Saint Germain est créée sur une place publique de Port-au-Prince une manifestation sans précédent: JAMA, un festival artistique. Les artistes de la rivière froide y participent. Cet évènement qui a connu plusieurs éditions n’a cependant eu aucun écho dans la presse locale. Peut-on conclure que l’incompréhension aurait mené cette presse à l’indifférence. Celle-ci a pourtant noté la violence avec laquelle une œuvre du sculpteur Ti Pèlin a été détruite. Une telle attitude négative par rapport à ce genre de sculpture s’est aussi manifestée à d’autres occasions. L’une d’elle a été la prise d’assaut en mars 2004 du Musée de l’Indépendance créé provisoirement dans l’ancien local du Quartier Général des Forces Armées Haïtiennes. C’est en scandant «Vive Jésus, à bas Satan» qu’une foule de fanatiques religieux à mis le feu à des œuvres à caractère vodou. Malgré cette composante vodou, recherchée ou pas dans les œuvres d’art actuel de récupération, celles-ci ont été continuellement exposées dans de rares galeries de Port-au-Prince et de Pétionville ouvertes à un art d’expérimentation.

Jean- Camille Nasson Autoportrait

Jean- Camille Nasson
Autoportrait

Au nombre des participants à JAMA il y avait André Eugène, disciple de Nasson. Eugène était aussi parmi les artistes, réunis pour la première fois sous le nom Atis Rezistans, artistes qui avec Mario Benjamin ont représenté Haïti, en 2007, aux festivités organisées pour le Bicentenaire de l’abolition de la traite négrière au nouveau Musée international de l’esclavage, à Liverpool en Grande Bretagne.
Voici donc la genèse établie. Mais que peut-on dire de ce mouvement et des productions qu’il propose ?

Gérald Alexis

Critique d’art

Publié dans le Nouvelliste le  2 décembre 214

Voir le premier volet, l’art de récupération

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