Loi Macron : la démocratie participative pour justifier un recul de la démocratie représentative ?

Publié le 13 janvier 2015 par Arnaudgossement

Le projet de loi "Macron" pour la croissance et l'activité comporte un article 28 aux termes duquel le Parlement confie au Gouvernement le soin de réformer, par ordonnances, le code de l’environnement. Ce texte est en cours d'examen par les députés membres de la commission spéciale chargée d'étudier le projet de loi.  A la dernière minute, ces députés ont été saisis d'une proposition d'amendement pour sauver la réforme. Au risque d'opposer démocratie participative et démocratie représentative.


Pour une présentation du sens et de la portée de cet article 28, je vous propose la lecture de cette note. Aux termes de cet article, le Parlement délivrera une autorisation très large au Gouvernement pour que celui-ci procède à une réécriture de nombreuses dispositions du code de l'environnement.

Cette réforme est critiquable pour les principales raisons suivantes :

-elle est réalisée par ordonnances et donc, pour l'essentiel, sans le Parlement,

- elle ne tient aucun compte du caractère international et européen du droit de l'environnement

- elle se fait sans étude d'impact préalable. Or, l'exigence de qualité du droit suppose d'y consacrer le temps requis et de ne définir un remède qu'après un diagnostic rigoureux et d'ensemble.

- elle aboutira à de nouveaux textes et à une complexité accrue en raison du choix de "simplifier" par morceaux et petites touches. Aux ordonnances succèderont de nouvelles ordonnances puis des décrets, arrêtés, circulaires etc..

- elle comprend une réforme de la participation du public, réalisée sans participation du public.

Devant la Commission spéciale mise en place pour procéder à l'examen du projet de loi, plusieurs députés, de la majorité comme de l'opposition ont déposé 98 amendements. La plupart d'entre eux sont destinés à supprimer cet article 28 ou à en réduire très largement, voire totalement, la portée. 

Pour prévenir le risque de suppression de l'article 28 et sans doute conscients que de nombreux députés s'étonnent que la réforme du code de l'environnement se fasse sans eux, les rapporteurs thématiques ont tous cosignés une proposition d'amendement déposée ce jour qui tend à trouver un compromis pour sauver cette réforme.

L'amendement n°SPE1575 est ainsi rédigé :

"Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« III. – Le conseil national de la transition écologique mentionné à l’article L. 133‑1 du code de l’environnement est associé à l’élaboration des ordonnances prévues au I. Il peut mettre en place une formation spécialisée pour assurer le suivi des travaux et la préparation des avis qui sont mis à disposition du public dans les conditions prévues à l’article L. 133‑3 du code de l’environnement.»"

Le but de l'amendement est évident : donner une caution démocratique à une procédure (ordonnances) qui ne l'est pas. Or, le dialogue environnemental n'a pas vocation à compenser l'absence de débat parlementaire.

Pour mémoire, le Conseil national de la transition écologique (CNTE) a été créé par la loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement. Son organisation est précisée par le décret n° 2013-753 du 16 août 2013 relatif au Conseil national de la transition écologique.

Cet amendement est regrettable pour plusieurs motifs

Le premier tient à ce que le CNTE est clairement appelé à cautionner le recours aux ordonnances ou à compenser le déficit démocratique de cette procédure qui aboutit nécessairement à un dessaisissement du Parlement. Cet amendement revient à utiliser un outil de la démocratie participative pour justifier un recul de la démocratie représentative (le Parlement dessaisi par ordonnances). L'opposition ainsi créée entre démocratie participative et démocratie représentative est une très mauvaise idée alors que tout l'enjeu est de bien articuler les deux. 

Le deuxième tient à ce que le CNTE n'a absolument pas été créé pour co-élaborer des textes à la place du Parlement. Dépourvu d'administration qui lui soit spécifiquement dédiée, le CNTE n'a tout d'abord pas de moyens propres et chaque membre doit compter sur l'expertise et le travail de sa propre organisation. Le CNTE a vocation à débattre, à éclairer le ministre de l'écologie, à donner un avis sur un projet de loi : pas à justifier le recours aux ordonnances. Prétendre l'associer à la rédaction d'un texte n'a pas de sens. En outre : le CNTE ne disposera d'aucune étude d'impact pour travailler sérieusement. Enfin, l'avis du CNTE est toujours - ce qui en fait aussi son intérêt - un compte rendu de positions souvent très diverses. L'avis du CNTE ne procède pas d'un vote et ne se traduit jamais par un "oui" ou par un "non". Cet avis n'a donc pas pour objet de valider ou d'invalider un projet de texte. Il a pour but d'éclairer l'autorité chargée de discuter de ce texte. Or, au cas présent, le Parlement ne pourra profiter de cet éclairage car il sera, dans le meilleur des cas, uniquement appelé à ratifier les ordonnances ainsi rédigées.

Le troisième tient à ce que ce détournement de la consultation du CNTE comporte un risque: celui d'une complexité accrue du droit. Car, devant toutes les parties prenantes, le Gouvernement devra bien entendu donner des gages à chacune pour lui donner le sentiment qu'elle a été écoutée. Pour faire plaisir à l'un on fera plaisir à l'autre. Comme le temps manquera, on procédera à une sorte de négociation diplomatique du droit : tu me donnes ceci, je te donne cela. A l'arrivée, un gage de complexité pour le droit de l'environnement.

La simplification de ce dernier suppose du temps et un travail sérieux.

Arnaud Gossement

Selarl Gossement Avocats