ILS ONT CHOISI DE RESTER DANS LEUR PAYS D'ORIGINE L'histoire des juifs algériens
«(...) C'est parce que le FLN considère les Israélites algériens comme les fils de notre patrie qu'il espère que les dirigeants de la communauté juive auront la sagesse de contribuer à l'édification d'une Algérie libre et véritablement fraternelle. (...)» Lettre du FLN aux Israélites en 1956
Un sujet récurrent qui mérite de notre point de vue une attention particulière -au moment où l'Algérie s'interroge sur son avenir- est celui de savoir comment l'Algérie a traversé l'histoire. Si l'on est d'accord sur les alluvions allogènes dues à la colonisation française, il reste que nous ne savons pas quel a été le destin de ces habitants de l'Algérie depuis les temps reculés, je veux parler des juifs algériens.
Quelle est leur histoire? Comment et quand sont-ils arrivés en Berbérie?
Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre pour arriver à la période actuelle, notamment celle de la Révolution où beaucoup d'entre eux ont choisi de défendre leur patrie, notamment à l'appel du FLN. Qui se souvient en effet de Laban, de Timsit qui ont défendu la Révolution, les armes à la main?
La venue des juifs au Maghreb
Sans remonter jusqu'à la Génèse, après leur persécution, les tribus juives ont essaimé à partir de l'Egypte sur tout le littoral méditerranéen à partir du VIIe siècle avant Jésus-Christ. Cette population juive, venue vraisemblablement par la mer habitait le littoral libyen, il y avait une autre à l'intérieur du pays, berbère d'origine qui elle aussi a été graduellement gagnée à la religion juive. Elle habitait le djebel Gharian, le djebel Yffren et le djebel Nefouça. Pour Slousch, les marchands juifs se sont mêlés aux Tyriens puis aux Phéniciens pour conquérir les rivages méditerranéens de l'Afrique.(1)
Les juifs nous dit Stora, sont présents en Algérie depuis des millénaires pour les premiers, au moment où les Phéniciens, lancés dans le commerce maritime, fondent Annaba, Tipasa, Cherchell, Alger, Kartenna, des juifs les accompagnent. D'autres juifs viennent de Palestine fuyant l'empereur Titus après la destruction du temple de Jérusalem en 70 avant Jésus-Christ. Ils se mêlent aux Berbères autochtones et forment des tribus. Augustin d'Hippone et Jérôme de Stridon attestent tous deux de l'importance de la communauté juive aux IVe et Ve siècles. On doit donc admettre qu'il y a eu des immigrations d'Israélites en Berbérie dans les temps historiques et bien des siècles après l'époque où se forma la race berbère. Selon le mot d'Olivier cité par Rinn: «Les juifs ne furent que les hôtes des Berbères, ils ne furent pas leurs aïeux.»(2)
Les Israélites ont apporté au Maghreb leur contingent et tout en conservant leur religion, ils se sont fondus au milieu de la race du pays. A part l'acquittement de redevances (le Kharadj: impôt foncier,et la Djéziah: impôt de capitation), il semble que les maîtres arabes usaient à l'égard des juifs d'une large tolérance. Il y eut, comme l'écrit A. Dhina, parmi ces juifs, des hommes pieux et des savants, c'est le cas du Rabbin Raphaël Ephraïm Ankoa à Tlemcen et dont nous parlerons plus loin, des rabbins Isaac Ben Sheset Barfat et Simon Ben Semah Duran à Alger.
Les implantations les plus importantes des communautés juives se situent à Tlemcen, Constantine, Alger, Laghouat.(3)
La crainte des persécutions de la part des Espagnols reste si grande dans la communauté juive que les échecs de ceux-ci dans leurs tentatives de prendre Alger en 1541 puis en 1775 sont commémorés par les juifs lors des Pourims d'Alger.
Durant la Régence, ils purent vivre en bonne intelligence avec les musulmans. Il en sera de même pendant toute la période coloniale. Ainsi, Mostefa Lacheraf rapporte la bonne harmonie qui régnait entre les deux communautés, dans les années 1920 à 1940 de ce siècle dans son petit village de Sidi Aïssa.
Il écrit notamment: «... Et puis l'école officielle du village de Sidi Aïssa était une école dite indigène où il n'y avait pas un seul élève européen, mais une grande majorité d'élèves musulmans en même temps qu'une douzaine de petits Israélites parlant l'arabe comme leur langue maternelle et fortement arabisés dans leurs genres de vie.» Eux et leurs familles appartenaient à la communauté juive du Sud algérien et portaient cinq ou six noms parmi ceux de l'ancienne diaspora andalouse judaïque réfugiée au Maghreb entre le XIVe et le XVIIe siècle et débordant, depuis 1830, les lieux habituellement citadins pour s'intégrer à des centres villageois dans la mouvance des grands foyers rabbiniques traditionnels tels que Ghardaïa, Laghouat, Bou-Saâda. Peut-être que le mode religieux n'était pas à l'époque, pour le «m'as-tu-vu» et le côté spectaculaire de la simple pratique, de l'observance rituelle exagérée comme aujourd'hui, car, dans ce centre villageois pourtant bien situé et peuplé d'habitants à la spiritualité mystique ou monothéïste affirmée, il n'existait ni mosquée officielle, ni Eglise, ni Synagogue édifiée en tant que telle».(4)
«Femmes juives et femmes musulmanes se rendaient visite pendant les fêtes religieuses de l'une ou l'autre des communautés où elles habitaient côte à côte, dans des logements séparés autonomes... Je me rappelle encore ce que chantaient quelques femmes israélites venus offrir à ma mère du pain «azym» de la Pâque juive et entonnant sur le pas de la porte, en partant, un air célèbre d'origine andalouse. (..)le chant nostalgique de l' «Au revoir». Les relations entre les deux communautés allaient sans doute changer à l'avènement du sionisme agressif, militaire et colonial lors de la spoliation de la Palestine par le nouvel Etat d'Israël.»(4)
La considération des musulmans pour les juifs
On se souvient que les autorités coloniales en Algérie avaient choisi la collaboration, les indigènes refusèrent de livrer les juifs et de collaborer. C'est le cas notamment à Laghouat où la population s'oppose à la demande des autorités de livrer les juifs. Les enfants juifs, à qui les écoles républicaines étaient interdites, vont fréquenter les écoles «arabes» où la population les accepte et dissimule leur identité aux autorités de Vichy.
Les indigènes musulmans adopteront donc une position radicalement différente de celles des autorités de Vichy permettant la protection de nombreux juifs d'Algérie. L'immigration algérienne et les milieux nationalistes algériens seront globalement sur la même position. Ainsi, Messali Hadj s'opposera à toute forme de collaboration et aux persécutions des juifs; il fera d'ailleurs exclure du PPA, en mai 1939, les zélateurs d'une alliance avec les Allemands et sera emprisonné par le régime de Vichy en 1941.
Il y a deux ans, un film a été réalisé sur la bravoure des Algériens émigrés à Paris qui ont sauvé des centaines de juifs. Dans le film Les hommes libres, le cinéaste Ismaël Ferroukhi raconte comment Les émigrés algériens -sous prolétariat français- pendant la colonisation, avaient décidé d'aider les juifs à s'enfuir et les ont cachés. Un mot m'avait frappé à propos: «ammarach nnagh», «Ce sont comme nos enfants» traduisant par là le sacrifice à faire pour sauver des enfants. juifs...qui sont comme nos enfants.
Si Kaddour Ben Ghabrit, le fondateur de la Mosquée de Paris, aura dirigé ce lieu religieux durant la période de l'Occupation. Derri Berkani rapporte que durant la Seconde Guerre mondiale et l'occupation de la France par l'Allemagne nazie, la Mosquée de Paris sert de lieu de résistance pour les musulmans vivant en France. Les Algériens du FTP (Francs-tireurs partisans) avaient pour mission de secourir et de protéger les parachutistes britanniques et de leur trouver un abri.
Les FTP ont, par la suite, porté assistance à des familles juives, des familles qu'ils connaissaient, ou à la demande d'amis, en les hébergeant dans la mosquée, en attente que des papiers leur soient fournis pour se rendre en zone libre ou franchir la Méditerranée pour rejoindre le Maghreb. Le tract, en tamazight, a été lu à voix haute pour les hommes pour la plupart analphabètes «ammarrach nnagh»
«Comme nos enfants» «Le tract était rédigé ainsi du 16 juillet 1942 à Paris. «Hier à l'aube, les juifs de Paris ont été arrêtés.
Les vieux, les femmes et les enfants. En exil comme nous, travailleurs comme nous. Ils sont nos frères. Leurs enfants sont comme nos propres enfants.- ammarach nnagh. Celui qui rencontre un de ses enfants doit lui donner un abri et la protection des enfants aussi longtemps que le malheur - ou le chagrin - durera. Oh, l'homme de mon pays, votre coeur est généreux.» (5)
Les juifs et la Révolution
Durant la Révolution, les Algériens de confession juive ont été sollicités pour apporter leur aide à la Révolution. Nous lisons la lettre suivante: «Le Front de libération nationale (FLN), qui dirige depuis deux ans la révolution anticolonialiste pour la Libération nationale de l'Algérie, estime que le moment est venu où chaque Algérien d'origine israélite, à la lumière de sa propre expérience, doit sans aucune équivoque prendre partie dans cette grande bataille historique. Vous n'ignorez pas, chers compatriotes, que le FLN, inspiré par une foi patriotique élevée et lucide, a déjà réussi à ruiner la diabolique politique de division qui s'est traduite dernièrement par le boycottage de nos frères commerçants mozabites, et qui devait s'étendre à l'ensemble des commerçants israélites. (...)
Depuis la Révolution du 1er Novembre 1954, la communauté israélite d'Algérie, inquiète de son sort et de son avenir, a été sujette à des fluctuations politiques diverses.(....)»
La communauté israélite se doit de méditer sur la condition terrible que lui ont réservée Pétain et la grosse colonisation: privation de la nationalité française, lois et décrets d'exception, spoliations, humiliations, emprisonnements, fours crématoires, etc. Sans vouloir remonter bien loin dans l'histoire, il nous semble malgré tout utile de rappeler l'époque où, en France, les juifs, moins considérés que les animaux, n'avaient même pas le droit d'enterrer leurs morts, ces derniers étant enfouis clandestinement la nuit n'importe où, en raison de l'interdiction absolue pour les juifs de posséder le moindre cimetière.
Exactement à la même époque, l'Algérie était le refuge et la terre de liberté pour tous les Israélites qui fuyaient les inhumaines persécutions de l'Inquisition. Exactement à la même époque, la communauté israélite avait la fierté d'offrir à sa patrie algérienne non seulement des poètes, des commerçants, des artistes, des juristes, mais aussi des consuls et des ministres.(..).
Le FLN est convaincu que les responsables comprendront qu'il est de leur devoir et de l'intérêt bien compris de toute la communauté israélite de ne plus demeurer «au-dessus de la mêlée», de condamner sans rémission le régime colonial français agonisant, et de proclamer leur option pour la nationalité algérienne.»(6)
Beaucoup d'Israélites ont fait le minimum en «cotisant». Il y eut des Algériens juifs admirables qui ont bravé les interdits, traversé les barrières invisibles des communautés, l'exemple le plus frappant est celui du D. Daniel Timsit qui a participé activement à la guerre d'indépendance de l'Algérie du «mauvais côté». Daniel Timsit est né à Alger en 1928 dans une famille modeste de commerçants juifs.
Descendant d'une longue lignée judéo-berbère, il a grandi dans ce pays où cohabitent juifs, Arabes et pieds-noirs, que le système colonial s'efforce de dresser les uns contre les autres. Il s'occupera du laboratoire de fabrication d'explosifs, puis entrera dans la clandestinité en mai 1956. Arrêté, il sera détenu jusqu'à sa libération en 1962, date à laquelle il rentre à Alger. Il s'explique longuement sur son identité algérienne, lui qu'on continue en France, à présenter comme un Européen. «Je n'ai jamais été un Européen», se défend-il. Il s'est toujours considéré comme Algérien, lui, dont la langue maternelle est l'arabe «derdja». La langue et la culture françaises, qu'il ne renie pas, viennent au second plan. L'algérianité ne se définit pas en fonction d'une appartenance ethnique ou religieuse, mais parce qu'il appelle «une communauté d'aspirations et de destin».(7)
Les juifs algériens actuels
Après le départ massif de 1962, beaucoup de juifs ont préféré rester en Algérie. Zouheir Aït Mouhoub en parle: «L'Algérie, pour laquelle ils ont participé à la libération, est leur patrie. Avec les Algériens, ils partagent tout à l'exception de... la religion. Eux, ce sont les juifs d'Algérie. Aujourd'hui, ils continuent encore de se cacher pour mieux vivre. Il nous décrit ensuite le portrait d'un jeune Algérien juif qui a choisi de sortir de son silence.: «Je n'ai que 24 ans. Mais j'ai déjà passé l'essentiel de ma vie à me cacher. A cacher mon secret, celui de ma famille, de mes semblables. Je suis Algérien.
Avec mes concitoyens, je partage le ciel, la mer, la terre, les joies et les tristesses. Mais pas la religion. (...)Je m'appelle Naïm. Je suis né un certain été 1988 à Alger. Il faisait beau. Rien n'indiquait que l'automne allait prendre un dramatique tournant dans la vie tourmentée de mon pays. Malgré cela, ma famille a toujours refusé de quitter l'Algérie et est restée liée à son histoire depuis des siècles. En 1962, alors que de nombreux juifs partaient dans la précipitation, emportés par les bruits qui couraient selon lesquels les juifs seraient tous «massacrés», mon grand-père décida de rester. «Ici, c'est notre terre.
Elle a vu naître tes parents et tes aïeuls et nous n'avons nulle part où aller», répétait-il à chaque discussion. (...) Mon grand-père, à l'époque commerçant à Znikat Laârayass dans La Basse Casbah, aidait ses frères moudjahidine. Son frère s'était même engagé dans l'Armée de Libération nationale. C'est un chahid. Aujourd'hui encore, les vieux et les vieilles de La Casbah se souviennent de l'engagement de ma famille dans la Révolution.»(8)
La France nous a causé du tort, car elle nous a assimilés puis francisés par ce sordide décret Crémieux. «La France interdisait à nos frères juifs d'être enterrés sur son sol. Avec ce décret, elle voulait nous séparer de nos frères musulmans et nous mettre dans l'embarras», expliquait doctement mon grand-père. Il était fier d'être Algérien et n'acceptait aucune autre appellation, refusant les étiquettes «juifs d'Algérie», «juifs d'origine algérienne» ou encore «communauté israélite ou juive d'Algérie». El Hadj El Anka égayait ses jours et ses soirées. Le chaâbi était sa musique favorite et Edmond Yafil, un de ses grands amis. (...) Je prie matin et soir pour que l'Algérie reconnaisse enfin ses enfants, sa pluralité. Pour qu'elle respecte, comme elle l'a toujours fait, ses minorités, sans distinction. L'Algérie appartient à tous les Algériens.»(8)
Nous le voyons, l'Algérie sera forte quand elle arrivera à se réconcilier avec elle-même. L'assumation de son identité multiple est, à n'en point douter, la voie à suivre
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour/171183-l-histoire-des-juifs-algeriens.html